2- Les combats dans la ville
En ce début d'après-midi, les sédentaires FTP de Raymond Mare et de Gilbert Praz sont entrés en action. Ils neutralisent les Allemands qui travaillaient à la boulangerie de l'Econome, située dans les actuels bâtiments de la Poterne et s'emparent de leurs armes.
Quelques FTP se dirigent ensuite vers le collège, actuel Collège Montpezat, occupé par des forces allemandes depuis une semaine. Ils décident de surveiller ses abords à partir des rues qui y accèdent.
Les Allemands, surpris, organisent leur défense. Les FTP décident d'encercler le bâtiment. Estimant qu'ils ne sont pas suffisamment armés, ils envoient l'un d'entre eux, Piaget, à la rencontre des Américains. Il part à bicyclette afin de demander de l'aide et descend la Grande Rue.
Pendant ce temps, l'armée américaine parcourt la rue Emile Zola où un Allemand, juché sur l'aile d'un camion, est tué d'une rafale de mitrailleuse. Ils arrivent au pont. D'abord stupéfaite, la population commence à laisser éclater sa joie, les scènes d'enthousiasme se multiplient mais vont bientôt être tempérées par la pluie qui commence à tomber et par les rafales de mitrailleuses des premiers combats.
Sur le pont, le FTP Piaget venu du collège a rencontré les maquisards du groupe Kléber et les soldats américains. Il les informe des emplacements où une résistance allemande est possible.
Parmi les troupes allemandes, c'est la panique. Des témoins voient le Kommandant faire ses bagages en catastrophe, les charger dans un véhicule automobile et fuir sur la route de Paris. Ceux qui restent se mettent en position de défense
La colonne blindée américaine qui a traversé l'Yonne se divise alors en deux. Les uns empruntent la Grande Rue (où un Feldgendarme est abattu) et se séparent en arrivant rue de la République. Une partie gagne la place de la Cathédrale, traverse la place Drapès, remonte la rue Thénard et arrive place des Héros. L'autre partie de cette colonne a remonté la Grande Rue au-delà de la rue de la République (actuelle rue de la Résistance). Les autres suivent les Promenades et arrivent place des Héros. Tous prennent alors la rue d'Alsace-Lorraine, la rue du Puits de la Chaîne et la route de Saligny. Place Drapès et place de la Cathédrale, les Sénonais enthousiastes sortent les drapeaux français.
Mais la ville n'est pas encore libérée. Tous les Allemands n'ont pas fui et beaucoup se sont retranchés dans divers bâtiments publics. Les Américains sont trop pressés pour livrer ces combats. Une délégation du Front national a rencontré trois officiers américains à la sous-préfecture. Les FFI se voient confier la destruction des derniers foyers de résistance allemande.
Ce sont donc les FTP, les maquisards du groupe Kléber ainsi que des hommes du groupe Ferry qui ne sont pas partis au maquis avec lui, auxquels s'ajoutent des membres de l'Organisation civile et militaire (OCM) qui vont, entre 16h et 18h réduire les îlots de résistance allemande. Ils sont aidés au Séminaire et au Collège de Filles par les tirs de blindés américains. D'autre part, nombreux sont ceux qui, au dernier moment, veulent rejoindre les rangs des FFI.
Les Allemands qui s'étaient retranchés dans la cathédrale ainsi que ceux qui occupaient encore la Feldgendarmerie et la Kommandantur se rendent facilement. A la Feldgendarmerie avaient été entreposées toutes les armes et les munitions que l'occupant avait saisies dans le Sénonais depuis quatre ans, en particulier les fusils de chasse. Les FFI s'en emparent. L'assaut et la prise du bureau de poste sont un peu plus difficiles car les Allemands y sont mieux armés et offrent une plus grande résistance. Le Collège de Filles abrite un groupe d'Allemands qui est réduit au silence par le tir d'un coup de canon par un blindé américain. Le Séminaire, bien que gravement endommagé par le dernier bombardement abrite toujours des troupes d'occupation. Les FFI s'y rendent avec un blindé américain. Deux d'entre eux sont tués par un tir allemand. Quelques combats ont lieu au lycée, rue Thénard. Des résistants du groupe de Soucy reconstitué occupent la Manutention, rue Victor Guichard. Ils y font une trentaine de prisonniers.
C'est au Collège de Garçons, actuel collège Montpezat, que les combats sont les plus longs. Le car allemand stationné devant la porte principale du collège est incendié par l'action combinée des grenades lancées par les FFI et d'une fusillade déclenchée par un char américain. Une douzaine de FFI parviennent à pénétrer dans la cour, les Allemands se retranchent puis peu après se décident à se rendre, commandant en tête, suivi par trois capitaines, des sous-officiers et des soldats. En tout, environ quarante à cinquante prisonniers. Vers 18h les combats ont cessé. Les officiers américains quittent la sous-préfecture.
Le bilan de la journée ne peut être établi avec certitude : aucun document officiel ne semble avoir été dressé peu après les événements et les chiffres diffèrent selon les sources. Ils sont approximativement les suivants : une vingtaine de morts (dont cinq FFI et trois civils), un nombre de prisonniers compris entre cent quinze, chiffre donné par le Sénonais Libéré du 23 septembre 1944, et trois cents à quatre cents, chiffres très souvent repris par la suite mais que rien n'atteste et qui semblent exagérés.
Le défilé des blindés de la IIIème Armée se poursuivit jusqu'à 22h, sous la pluie et les acclamations d’une foule en délire. A 5h15 le 22 août 1944, l'armée américaine repart. Elle suit un itinéraire parallèle à la RN 60.
Sources : Témoignages recueillis auprès de la population sénonaise. Articles publiés dans L'Yonne Républicaine et Le Sénonais libéré, en particulier à l'occasion du 1er, du 10ème, du 20ème et du 25ème anniversaire de la Libération. Drogland Joël, Histoire de la Résistance sénonaise, Auxerre, ARORY, 2ème édit.1998, 258 pages.
Joël Drogland