3 - 22 février 1943, une vingtaine de jeunes Sénonais arrêtés à la frontière espagnole

André Ragot (à droite) et Jean de Larebeyrette (à gauche). Cette photographie a été prise au camp de Dachau par Jean Vernis, en mai 1945. Jean Vernis, fils du résistant sénonais Léon Vernis déporté à la suite de son arrestation en octobre 1943, s’était engagé dans la 2e D.B. et était à la recherche de son père. Il ignorait qu’il était mort à Dora depuis près d’un an. André Ragot et son confrère Jean de Larebeyrette, tous deux médecins arrêtés et déportés pour des activités de résistance au sein de réseaux d’évasion, s’étaient retrouvés au camp de Dachau. Photographie aimablement communiquée par Jean-Luc Prieur et publiée dans Drogland Joël, Histoire de la Résistance sénonaise, ARORY, 2e édition, 1998, p.211

 

Diverses filières existent dans le Sénonais, permettant de gagner la frontière espagnole pour rejoindre Londres. Il ne nous est cependant pas possible d’identifier avec certitude les organisations dans le cadre desquelles elles s’inscrivent.

 

Le docteur Ragot et Cécile Lobry sont au cœur de cette activité. Nombreux sont ceux qui, décidés à rejoindre le général de Gaulle, contactent le docteur Ragot et prennent la route des Pyrénées. C’est d’ailleurs cette activité qui est à l’origine de l’arrestation du docteur et de Mme Lobry. Le docteur Ragot est homologué au réseau Jean-Marie Buckmaster mais on ne connaît pas d’activité d’évasion à ce réseau dans notre département. Dans le Jovinien le réseau d’évasion le plus actif est le réseau Bordeaux-Loupiac dont les membres sont en relation avec le réseau Jean-Marie. Ni Mme Lobry, ni le docteur Ragot ne revendiquent une appartenance à ce réseau. Alfred Prieur affirme avoir été en relation avec le réseau Jean-Marie implanté dans le Loiret, et simultanément avec le mouvement Résistance. Il raconte dans un résumé manuscrit de son activité résistante qu’il a récupéré deux aviateurs en forêt d’Othe le dimanche de Pâques 1943, qu’il en a parlé au docteur Ragot et qu’il a conduit les aviateurs dans le Loiret.

 

Le docteur de Larebeyrette est lui aussi en relation avec une filière d’évasion. Il est responsable du réseau Vélite-Thermopyles (réseau de renseignement) et en relation constante avec Catherine Janot. Celle-ci est membre du réseau Comète qui est un réseau d’évasion. Il devait exister à Sens une filière ayant pour base des membres du réseau Vélite-Thermopyles qui permettait de gagner l’Espagne. Une attestation d’appartenance au réseau Vélite-Thermopyles délivrée à Robert Babillon par le docteur de Larebeyrette en 1949 affirme que M. Ruelle, imprimeur à Sens « était un de nos agents locaux à Sens » et « travaillait avec M. Alexandre Clotaire à l’envoi pour l’Espagne de patriotes désirant s’engager dans les FFL ».

 

Tous ces résistants sénonais se connaissent et il n’est pas possible, en l’état actuel de notre documentation de démêler l’écheveau. Il est par contre certain que la filière fonctionne et que les candidats au départ sont nombreux. Ils contactent Mme Lobry ou le docteur Ragot. Ils prennent le train pour Bayonne puis Saint-Jean-Pied-de-Port (Basses Pyrénées), se rendent à pied à Saint-Jean-le-Vieux, rentrent à l’auberge Hragueny, demandent un certain Beota qui est le passeur. Il les emmène dans la montagne et leur fait traverser la frontière. C’est cette filière qui est démantelée en février 1943.

 

Alfred Prieur écrit : « Le 6 février 1943 la frontière d’Espagne s’est fermée, et durant les huit à dix jours qu’il nous a fallu pour le savoir et arrêter cette filière, beaucoup de jeunes Sénonais  furent arrêtés et ensuite déportés ». Alfred Prieur et André Ragot seraient donc membres de la même organisation. Le fichier des déportés de l’Yonne conservé aux Archives départementales confirme le démantèlement de la filière. Une vingtaine de Sénonais sont arrêtés à Saint-Jean-Pied-de-Port et Saint-Étienne-de-Baïgorry entre le 3 et le 22 février 1943 ; ils sont par la suite déportés. Les arrestations d’André Ragot et de Cécile Lobry en sont la conséquence ; on apprend en lisant leurs dépositions en 1945 que M. Ruelle a pu s’échapper mais que sa femme et sa fille ont été incarcérées à sa place.

 

Robert Babillon est arrêté le 14 février 1943 et Robert Branchet le 22 février. Robert Babillon est né le 1er mai 1922 à Etigny et Robert Branchet le 14 avril 1923 à Sens. Le premier est proche du parti communiste, le second membre des Jeunesses communistes. Ils ne se connaissent pas. Réfractaires au STO, ils décident de rejoindre les Forces Françaises Libres. Arrêtés à Saint-Jean-Pied-de-Port, ils sont remis aux autorités allemandes et internés à Sainte-Palais où ils font connaissance. Ils sont ensuite transférés à Bordeaux et Compiègne et déportés au camp de Sachsenhausen où ils arrivent le 30 avril 1943. Affectés par la suite au Kommando de Falkensee, ils sont libérés par les Soviétiques en avril et mai 1945 dans un état de grand épuisement physique puis rapatriés en juin après un passage à l’hôtel Lutétia. Ils sont restés de grands amis et ont à plusieurs reprises témoigné de leur expérience concentrationnaire auprès des élèves des collèges sénonais.

 

Sources : AN, Z6/166 dossier 2252 bis, dossier d’instruction du procès de S. Leuret. ADY, 33 J 16 (fichier des déportés) et 1130 W 10 (dossier Simone Duval contenant les dépositions d’André Ragot et de Cécile Lobry). Archives privées d’Alfred Prieur et de Robert Babillon, communiquées par Jean-Luc Prieur. Témoignages de Robert Babillon et de Robert Branchet recueillis par Arnaud Fouanon le 19 septembre 1998, in Fouanon Arnaud, La répression et la déportation dans l’Yonne 1940-1944, mémoire de DEA, Université de Bourgogne, 1999. André Ragot, docteur et martyr (1909-1954), éd. L'Yonne Républicaine, 1955. Drogland Joël, Histoire de la Résistance sénonaise, Auxerre, ARORY, 2ème éd. 1998, 258 pages.

 

Joël Drogland

 

 

 

 

 

 

 

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