14 octobre 1943 : arrestation de Léon Vernis à Sens

Léon Vernis

Né en 1897, Léon Vernis interrompt ses études à dix-sept ans pour s'engager quand éclate la Grande Guerre. Son frère est tué durant cette guerre. Petit industriel, il dirige une fabrique de machines agricoles à Sens. Officier de réserve, il est hostile à la politique de collaboration prônée par le maréchal Pétain. Il participe aux activités du groupe sénonais Ceux de la Libération qu'a fondé le colonel Mathis et par la suite à celle du Bureau des opérations aériennes (BOA). Ses activités consistent à cacher des réfractaires dans des fermes de la vallée de l'Oreuse dont il connaît les exploitants qui sont ses clients. 

En septembre 1943, la direction nationale du BOA envoie un nouveau responsable départemental dans l'Yonne. Il s'agit de Marius Guillemand (« Etienne ») qui a dû quitter le Pas-de-Calais où il exerçait des responsabilités. « Etienne » loge chez Léon et Louise Vernis. Le 13 octobre 1943, « Etienne » est arrêté en compagnie d’Alfred Prieur et de Jacques Guérin, responsable du BOA venu relever les coordonnées d'un éventuel terrain d'atterrissage. « Etienne » dénonce Léon Vernis ainsi que beaucoup d'autres résistants sénonais. 

 

Etablissements Vernis

Les Feldgendarmes se présentent à son domicile le 14 octobre, vers 20h30. « Ils ont commencé le siège de la maison et pour se faire ouvrir tiraient des coups de mitraillettes dans la fenêtre ainsi que des grenades dans la porte d’entrée » témoigne Madame Vernis. Son mari téléphone immédiatement au commissariat de Police en signalant que des coups de feu sont tirés contre sa maison. Le policier de service lui répond qu'il est seul et qu'il devra donc patienter un peu. Madame Vernis se décide à ouvrir : « J’ai tiré le cordon de la porte et le flot de ces gens est entré subitement à notre domicile (…) Eckardt  (…) était tout rouge d’énervement et avec sa cravache semblait vouloir tuer tout le monde ». Madame Vernis est enfermée dans une pièce et gardée par un soldat ; elle y restera séquestrée avec son plus jeune fils âgé de treize ans, pendant trois jours. « J’ai entendu brutaliser mon mari qui criait (…) Il a été sauvagement frappé jusqu’à l’épuisement. »

C’est alors qu’arrive la police française : « A 21h. (...) je me suis rendu chez M. Vernis à la porte duquel se trouvait une sentinelle. J'ai été reçu par le Lieutenant de la Feldgendarmerie qui m'a déclaré qu'il s'agissait d'une affaire où je n'avais pas à intervenir. S'étant présenté avec ses hommes pour effectuer une perquisition, il n'a pas été ouvert à ses sommations, il a alors fait tirer des coups de feu et ayant entendu du bruit dans le parc, il avait fait lancer des grenades à main. Il s'agirait de la suite des opérations effectuées à Sens depuis trois jours relative à un groupe secret de résistance (...) 

 

Brochure à la mémoire de Léon Vernis

 

Léon Vernis est conduit à la caserne Gémeau où les Allemands interrogent et emprisonnent. Le 10 janvier 1944, alors qu’il était détenu à la prison de Dijon, il parvint à faire passer à son épouse un récit des événements postérieurs à leur séparation. Madame Vernis rédigea une copie de ce document et le remit à un inspecteur de police qui enquêtait sur les actes du lieutenant Eckardt, le 8 janvier 1946. C’est à cet émouvant document que nous empruntons la suite du récit : « (…) Un argousin en civil me lia très fort les mains dans le dos à l’aide de ma ceinture en caoutchouc et en plus d’une ficelle très solide et très coupante. (…) Sous bonne escorte, je fus conduit à la caserne. Ils étaient bien une quinzaine armés jusqu’aux dents et moi j’étais les mains liées et en bras de chemise, ils avaient même pris la précaution de détacher mes bretelles ce qui est bien désagréable. Arrivé dans cet équipage à la caserne, je fus solidement lié à un arbre dans la cour à droite, les jambes et le corps solidement attachés J’ai l’impression qu’il faisait froid cette nuit là. Mais je n’en souffris pas. J’avais la gorge et la bouche complètement sèches. Je liais conversation avec une de mes sentinelles nous réussîmes à nous parler en Anglais. Ce brave type après bien des hésitations alla remplir son casque et me fit boire (…) Je pensais beaucoup à vous me demandant quel triste sort vous était également réservé. Je dois dire aussi que je craignais fort d’attraper une bonne congestion et d’y rester car ces messieurs n’auraient pas été disposés à me soigner.

Bref, le matin après 8h, le sous-officier de garde vint me détacher. J’avais les mains tellement enflées qu’il fut obligé de couper la ceinture et la ficelle. Je dois dire qu’il le fit avec beaucoup de précaution. Inutile de te dire que la circulation du sang ayant été arrêtée, je souffris cruellement des mains, de plus j’avais une plaie à chaque poignet et surtout à la main droite (…) Je fus confronté avec le fameux Etienne et cette confrontation eut lieu tous les jours (…) Je passais une dernière nuit assis sur une chaise dehors (…) Je fus alors conduit sous la menace et les vociférations de ces messieurs dans un sous-sol de la caserne auquel on avait accès par une trappe et un escalier mobile. J’y fus descendu ou plutôt vigoureusement poussé en même temps que les soldats descendaient une espèce de table très haute avec deux brancards (…) Ils me lièrent les pieds, j’avais bien entendu toujours les mains attachées dans le dos. Ils me mirent sur cette table et remontèrent l’escalier et fermèrent la trappe. Je poussai un soupir de soulagement. Je passais ainsi les journées de samedi, dimanche et lundi matin (…) Le lundi vers 10h, je fus conduit comme tu le sais à Auxerre avec mes compagnons de misère (…) Pendant ces quatre jours je n’eus même pas un quart d’eau à boire (…) »

Léon Vernis et ses camarades arrêtés dans le Sénonais sont transférés à Auxerre le 18 octobre puis à Dijon le 29. Le 17 janvier 1944, ils prennent le train, attachés deux par deux, dans des wagons de voyageurs de troisième classe. Ils arrivent à Compiègne et sont conduits au camp de Royallieu. Mme Vernis accompagnée de Mmes Castets, Felser et Prieur louent des chambres dans un hôtel proche et attendent le départ des prisonniers. Louise Vernis peut parler à son mari qui lui semble avoir bon moral. Le 24 janvier 1944, entassés à cent par wagon, ils prennent le chemin de la déportation. Arrivé le 26 au camp de Buchenwald, Léon Vernis est transféré à Dora puis à Elkirch. Il meurt d ‘épuisement le 10 juin 1944 à l’infirmerie du camp d’Hartzunge.

Sources : Arch dép ; Yonne, 1 W 151. Arch. Dép. Côte-d’Or, 40 M 454 (déposition de Mme Vernis et lettre de Léon Vernis du 10 janvier 1944). Témoignage de Mme Vernis (1984). La Résistance dans l’Yonne, cédérom ARORY-AERI, 2004.

Pour en savoir plus : La répression de la Résistance dans le Sénonais à l’automne 1943, in Yonne mémoire n°50, à paraître en novembre 202

Joël Drogland

 

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