Les femmes dans la résistance de l'Yonne

 

L’étude des résistantes dans la Résistance mobilise sérieusement la recherche depuis une vingtaine d’années. Au lendemain de la guerre, l’historiographie s’était avant tout penchée sur les aspects militaires de la Résistance et avait largement délaissé toutes celles qui n’avaient pas combattu les armes à la main. Il fallut attendre l’émancipation des femmes dans les années 70 (1) pour s’interroger sur leur rôle dans la Résistance. En témoigne le colloque « Les femmes dans la Résistance », organisé à la Sorbonne en 1975 par l’Union des femmes françaises (UFF) (2). Mais ce regain était davantage une victoire du féminisme militant que la reconnaissance des résistantes qui, à défaut d’être systématiquement étudiées, restaient encore oubliées (3). Le rattrapage s’opéra finalement dans les années 90 (4), et fut souvent mené sous une approche anthropologique et, cette fois, spécifiquement féminine (5).

Dans l’Yonne, l’histoire de la Résistance s’est véritablement écrite au début des années 2000, grâce aux travaux de l’A.R.O.R.Y. Un cédérom puis un ouvrage de synthèse ont servi de matériau à cet essai (6). Faute de sources et de témoignages, les femmes n’y étaient parfois identifiées que par leur seul titre d’épouse de résistant et leur rôle n’y était pas toujours suffisamment précisé. Cette étude inédite dans l’Yonne et conduite après certains travaux bourguignons (7), se propose, autant que faire se peut, de leur redonner un prénom et un visage.

 

1. Un échantillon significatif de plus de 250 femmes

 

Des sources nouvelles

Le dépouillement récent, effectué par trois membres de l’ARORY (Claude Delasselle, Frédéric Gand et Thierry Roblin), des archives du Service départemental de l’ONAC (Office national des Anciens Combattants) (8) permet d’approfondir la connaissance des résistantes de l’Yonne (9). Les dossiers qu’elles ont constitués pour obtenir la carte de Combattant volontaire de la Résistance (CVR), la carte d’Interné résistant ou la carte de Combattant apportent de nouvelles sources d’information qui s’ajoutent aux données du cédérom La Résistance dans l’Yonne et aux dernières recherches publiées dans les numéros précédents du bulletin Yonne-Mémoire de l’ARORY.

L’addition de toutes ces femmes, celles qui nous étaient déjà connues et celles que nous avons découvertes, forme un total de plus de 250 résistantes, un chiffre qui sans prétendre être définitif ni exhaustif appelle à la prudence. Que dire en effet des femmes qui ont quitté le département après la guerre (10), celles qui n’ont jamais fait de demandes de carte ou de celles qui n’ont tout simplement jamais jugé utile de se signaler (11) ? Cet échantillon, dont la fiabilité est évidemment provisoire, nous semble mériter quelque crédit. Sa validité obéit à quelques critères simples mais rigoureux.

Les résistantes, retenues à partir du dépouillement des archives de l’ONAC, ne l’ont pas été d’après leur demande administrative mais en fonction de leur proximité avec une organisation de Résistance, qu’elle soit nationale ou locale, qu’elle soit civile ou militaire (12). Il est ensuite apparu plus scientifique de fonder leur action résistante sur sa nature plutôt que sur sa durée, sur les risques courus plutôt que sur le nombre de jours comptabilisés dans une organisation (13). Cette optique a permis d’inclure bon nombre de résistantes qui n’avaient jamais été immatriculées dans une organisation malgré de courtes actions périlleuses. La constitution d’un outil statistique, réalisé à l’aide d’une base de données, a offert des garanties méthodologiques. Au total, cette liste représente un objet relativement cohérent et qui semble se rapprocher du nombre réel des résistantes icaunaises. Cet ensemble de 250 femmes (14) représente moins de 0,1 % de la population icaunaise de l’époque mais correspond peut-être à un dixième des effectifs résistants masculins.

 

Des résistantes à tout âge

Les Icaunaises ont résisté à tous les âges. La plus âgée que nous connaissons est Pauline Rodolphe, une infirmière et assistante sociale du dispensaire de Toucy qui travaillait avec le docteur Louis Seguin. Après avoir aidé des prisonniers de guerre au début de l’Occupation, elle travaille pour le mouvement Résistance en <st1:metricconverter w:st="on" ProductID="1943. A">1943. A</st1:metricconverter> l’âge de 70 ans, elle héberge à Mézilles des réfractaires et des résistants et fournit des renseignements à Marie-Louise Baudon et à l’abbé Bouillier, curé de Mézilles. L’une des plus jeunes est Geneviève Jeanguyot-Carmantrand (15) de Perrigny-sur-Armançon. Cette apprentie-couturière est âgée de 15 ans lorsqu’elle se met d’abord à la disposition du Front national et de Fernand Dufour à Joigny puis à celle des FTP et de René Millereau. Elle assure ainsi des liaisons pour le maquis Vauban. Thérèse Minard-Froissart, la fille d’Abel Minard, est plus jeune encore quand elle aide sa mère Mariette à soigner les maquisards FTP au hameau de La Fourchotte à Brion. En 1944, âgée seulement de 12 ans, elle opère aussi quelques liaisons.

La répartition par classe d’âge nous confirme les tendances déjà observées dans les études précédentes (16) : les classes résistantes les plus fournies sont alimentées par deux catégories, les jeunes et les personnes d’âge mûr. Le curseur moyen semble être également placé autour de 30 ans mais avec une répartition légèrement différente. L’importance des femmes de plus de 30 ans est notable : en 1940, une moitié des résistantes a entre 30 et 50 ans, un chiffre qui s’élève presqu’aux deux-tiers si l’on y ajoute les quelques 10 % de femmes de plus de 50 ans. Les quarante pour cent restants sont donc composés par des femmes de moins de 30 ans, où les moins de 20 ans représentent environ 15 % du total.

Ce classement est étroitement corrélé au statut social et à la fonction résistante de ces femmes. Passé l’âge de 30 ans, nombreuses sont les épouses et les mères qui ne peuvent facilement quitter leur foyer et qui le transforment en lieu d’hébergement. A Saint-Brancher, en 1943, la cultivatrice Jeanne Poupée, âgée de 60 ans, héberge et ravitaille réfractaires et résistants pour le compte du Front national et des FTP, cache des tracts et des armes, s’oppose aux réquisitions et sabote même les batteuses. En revanche, les moins de trente ans, globalement plus libres, ont plus facilement gagné la clandestinité et sont majoritairement devenues agents de liaison. C’est aussi dans cette catégorie que se retrouvent les femmes qui ont combattu dans les organisations, dans les maquis et même dans les unités combattantes constituées à la Libération. Simone Goussard abandonne ainsi ses études d’assistante sociale en juin 1943 pour rejoindre le mouvement Résistance, à l’âge de 23 ans. Elle devient ensuite à Toucy une agent de liaison efficace entre l’état-major FFI et les groupes du Service National Maquis, tapant les ordres d'attaque d’Adrien Sadoul avant de les transmettre aux maquis.

 

Des résistantes de tous milieux

L’étude des professions féminines est délicate à conduire compte-tenu de la société de l’époque. Nombre de femmes étaient sans profession et certains métiers leur étaient pratiquement interdits ou d’accès difficile, que l’on songe aux militaires ou aux médecins. Dans notre échantillon, près d’une femme sur deux n’a d’ailleurs pas de profession officielle. Quelques tendances ressortent toutefois, qui ne reflètent que partiellement la réalité sociale du département.

L’importance des professions de l’agriculture et du commerce n’est pas étonnante dans l’Yonne des années quarante. Elles constituent des secteurs de poids : chacun d’eux représente vingt pour cent des femmes. Ainsi par exemple les cultivatrices Edwige Chaillou et Andrée Connat. L’une, 43 ans en 1943, est membre du réseau Ralph affilié au mouvement Résistance et héberge à Sainpuits des réfractaires, avant de ravitailler le Maquis 3 du Service National Maquis d’André Cagnat. L’autre, 35 ans, est un soutien à Merry-la-Vallée du groupe Georges Manoury affilié au réseau Jean-Marie Buckmaster (JMB). A Chassy, la cultivatrice Olga Calmus, 45 ans en 1944, est en contact avec Alain de la Roussilhe, entrepose des armes parachutées et cache des responsables comme Henri Bouchard (« Noël »), le radio du réseau JMB, et « Nicole », une résistante anglaise parachutée en Bourgogne et qui est évoquée plus loin.

Les gérantes des hôtels et des commerces d’alimentation ont été une aide précieuse pour des clandestins toujours en quête d’hébergements, de vivres et de tabac. En 1943, Marie-Louise Anquet, 32 ans, qui tient le café-épicerie de Châtel-Gérard, est en contact avec l’abbé Durand de Libération-Nord. A la même époque, Marie Rapin, 49 ans, boulangère à Saint-Fargeau, est en rapport avec l’abbé Voury du mouvement Résistance. Elle s’oppose aux réquisitions et ravitaille la Résistance.

Les ouvrières représentent environ 10 % des femmes de cet échantillon. Jeanine Quéro, 24 ans, OS dans le textile, anime le Front national à Migennes en 1942. En 1944, Emeline Pierre, 49 ans, employée des abattoirs à Toucy, assure l’hébergement de résistants condamnés à mort qu’André Genêt a fait évader de l’hôpital de Nevers. Membre du groupe sédentaire du mouvement Résistance dirigé par M. Thomas, elle remplace son mari parti au maquis de Merry-Vaux, pour lequel elle assure liaisons et convoiement de réfractaires.

Les enseignantes, surtout des institutrices qui sont aussi bien souvent secrétaires de mairie, sont un peu plus nombreuses. C’est le cas, à Villethierry, de Gilberte Huré qui a 35 ans en 1944. Au sein de l’orbite communiste (groupe local Semard et maquis Paul Bert), elle héberge de nombreuses personnes : prisonniers de guerre, réfractaires, juifs parisiens, le radio et aviateur anglais Evan et des résistants auxquels elle fournit de faux papiers, sans oublier sa participation locale aux actions de la Libération aux côtés de Paul Albot. A citer également Paulette Ragu, à Grandchamp, âgée de 35 ans en 1943 et proche du mouvement Résistance. Elle héberge des enfants juifs, des réfractaires et des résistants, comme Maurice Fanicher, exécuté par les Allemands le 9 août 1944, et leur fournit de faux documents. Elle opère également des liaisons avec le groupe sédentaire de Saint-Denis-sur-Ouanne et tient le dépôt d’armes rapportées par son époux lors des parachutages à Grandchamp, probablement pour le maquis de l’Etang-Neuf. On trouve aussi quelques femmes professeurs, dont certaines nous sont encore mal connues : c’est le cas de Marie Osmont d’Amilly, 52 ans en 1943, qui enseigne la musique à Auxerre et héberge des résistants. Paula Buchillot, 35 ans cette même année, est professeur de dessin au lycée de Joigny ; elle réalise de faux papiers pour le Front national et s’intégre au groupe d’Irène Chiot dont elle est la cousine. Sa collègue d’anglais à Joigny, Gabrielle Meyer, membre de Bayard, travaille aussi pour le réseau Bordeaux-Loupiac à l’été 1943, hébergeant notamment Antony Leriche et « des aviateurs alliés que le groupe Bordeaux-Loupiac rapatriait », selon l’attestation de ce dernier, datée du 7 octobre 1957 dans le dossier CVR.

Les professions médicales et la fonction publique représentent les dernières catégories remarquables. Aux côtés du docteur Ragot, la sénonaise Cécile Lobry, 42 ans, dont on connaît assez mal la filière d’évasion par l’Espagne est affiliée au réseau « Evasion » de Ceux-de-la-Libération et fournit de faux papiers aux candidats au départ. D’autres infirmières sont moins connues, comme Rose Sevin, sœur Bernadette en religion, qui arrive à l’hôpital de Joigny en 1941, après avoir respectivement exercé depuis juin 40 à la clinique Bernadette à Lourdes puis à l’Hôtel-Dieu de Beauvais. A 35 ans en 1943, elle est membre du groupe Bayard et organise, aux côtés du docteur Fort, un service clandestin pour les résistants. Enfin plusieurs femmes ont su profiter de leur position dans les services publics. Marie-Josèphe Leduc, 23 ans, secrétaire-dactylo à la sous-préfecture d'Avallon, fournit de fausses cartes d'identité pour un contact du réseau Alliance avant d’être arrêtée le 12 novembre 1943. Jacqueline Herbin, âgée de 22 ans la même année, employée des PTT à Joigny, est pour Bayard un agent de renseignements et de liaison efficace grâce au téléphone. Enfin Athalie Voullemier, 45 ans en 1943, contrôleur du personnel à la poste d'Auxerre, est chargée des liaisons avec les services administratifs allemands. Elle appartient au réseau Action PTT sous les ordres d’Alfred Roux, agent P2 et également directeur des Postes. Elle recueille d’abord des prisonniers de guerre évadés, puis des réfractaires et des résistants qu’elle fournit en faux papiers, comme Petel l’agent de liaison d’André Genêt, et joue le rôle d’agent de renseignement et de liaison avec les autres organisations de la Résistance.

 

2. Les femmes en résistance : qui sont-elles ?

 

Les sentinelles du foyer : des épouses, des mères et des filles

Mariées et chargées de famille, les femmes sont accaparées par des tâches domestiques autrement plus pénibles qu’aujourd’hui. Entre repas, lessive et soins aux petits et grands, la marge de liberté est bien mince pour qui est retenue dans son intérieur. Les femmes pratiquent donc une résistance de l’accueil. La maison devient un lieu d’hébergement et de réunion pour les résistants qui y sont également ravitaillés et soignés. Cette solidarité n’est pas sans coût pour le ménage qui doit affronter la pénurie et des restrictions toujours plus grandes à partir de début 1941. Le foyer sert aussi de cache (armes, tracts, faux papiers…) et de boîte aux lettres des organisations pour lesquelles les femmes se transforment en agents de liaison.

            Ces sentinelles du foyer sont souvent des mères de famille. Dès 1941, Marguerite Froissart, 51 ans, dont le mari René est recherché (17), subit plusieurs perquisitions dans sa ferme du hameau de La Fourchotte (Brion) qui deviendra plus tard un havre de repos pour trois groupes FTP (Minard, Victoire et Liberté). En 1943, au hameau de Saint-Aubin (Saint-Brancher), la cultivatrice Berthe Couhault-Bonin, 51 ans, héberge les résistantes communistes Maria Valtat et Louise Gaudinot et oriente les réfractaires vers les maquis FTP. La veuve Alfrédine Trameau, 55 ans en 1942, fait de même dans sa ferme des Cornes à Châtel-Gérard pour les maquisards du Vauban (FTP) ou du maquis Aillot (Libération-Nord). A Saint-Sauveur-en-Puisaye en 1944, Gilberte Reby, 40 ans, mère de six enfants et femme de ménage, ravitaille le Maquis 7 du Service National Maquis, servant à domicile les repas du chef du Service National Maquis dans l’Yonne, le commandant Cunin (« Georges ») et de son adjoint « Pasteur ». A Vaudeurs, Fernande Cherpi, 48 ans, cultivatrice catholique et apolitique, se charge avec son époux d’héberger des prisonniers de guerre en fuite, des aviateurs alliés, des résistants et des maquisards jusqu’à l’arrestation du couple en mai 1944.

Cette forme de résistance familiale n’est pas l’apanage des femmes mais s’avère impossible sans elles. C’est le cas de plusieurs familles situées dans l’orbite des FTP. La famille Blondeau qui tient un garage à Brienon-sur-Armançon anime le groupe Victoire autour du père, Emile et de son fils Roland, tandis que la mère tient la maison (boîte aux lettres, accueil, armes) et que la fiancée de Roland, Solange Savourat, 28 ans en 1944, organise un réseau de planques hébergeant divers responsables (David Retchisky (« Hauteroche »), André Chamfroy, Robert Loffroy…). Elle ravitaille le groupe Victoire à La Ramée, en récupère les armes après son attaque ou recrute à la Libération pour le détachement Borel, future compagnie Aillot, sans compter des liaisons périlleuses menées dans son secteur. La situation est similaire pour la famille Sautreau à Mailly-la-Ville ou pour la famille Martens à La Longueraie près de Vaudeurs où le groupe Hoche réceptionne des parachutages grâce à Victor, à Jules mais aussi à la mère, Renée et à la fille, Marguerite. Cette dernière vient même étoffer l’équipe au sol lors du parachutage du 31 mai 1944. On trouve des cas identiques dans d’autres organisations, comme la famille Cagnat de Lainsecq agissant d’abord pour le mouvement Résistance puis le Maquis 3 du Service National Maquis.

Les mères disposent grâce à leurs filles de relais essentiels. A Avallon, l’hôtel-restaurant d’Andrée Santigny, 45 ans en 1943, est une plaque tournante de la Résistance où se tient le premier Comité militaire régional des FTP. Robert Santigny, son époux, y réunit les responsables de la résistance communiste tandis que sa fille, future Mme Beck, assure des liaisons avec la résistante communiste Maria Valtat. A Sens en 1944, Madeleine David et sa fille Marcelle sont deux agents qui relient Roger Bardet au maquis Kléber du réseau Jean-Marie Buckmaster. A 17 ans, l’étudiante Marcelle est aussi agent P2 et transporte des armes (voir sa biographie évoquée par Thierry Roblin dans ce numéro). En 1943 à Sens, Léone Delcroix ("Derville"), institutrice de 40 ans, est assistée par sa fille Jacqueline, lycéenne de 18 ans. Toutes deux sont des agents de liaison à la fois pour le Front national et pour le réseau Ronsard-Troëne (hébergement, faux papiers). Elles récupèrent des informations que Jean Delcroix transmet ensuite à Londres par radio (18). On retrouve une situation similaire à Jully dans le Tonnerrois où les Bonnamy agissent pour le Bureau des opérations aériennes (BOA) en mai 1943. Alors que Marcel, le père, participe à des parachutages en Côte d’Or et rapporte des armes à cacher dans sa ferme de Frace, son épouse Marcelle, 45 ans, héberge et ravitaille le maquis côtedorien Valmy où se trouvent quatre de ses fils. Sa fille Paulette, 19 ans, est agent de liaison (19).

Les filles ou les belles-filles apportent ainsi leur soutien dans plusieurs familles de résistants. A la ferme des Foix, Denise Cherpi assiste ses parents Louis et Fernande, déjà cités. Andrée et Renée, filles de la famille Brizard affiliée au Front national, réalisent des liaisons à Saint-Léger-Vauban pour le groupe Vauban tandis que l’italienne Assunta Lavina, 19 ans en 1944 et future belle-fille de la résistante Alfrédine Trameau, travaille avec elle pour Libération-Nord comme agent de liaison (20). Il arrive aussi qu’une fille épaule son père dans la Résistance. C’est le cas de Claudine Pichot ("Gladys"), une secrétaire-dactylo âgée de 19 ans et membre de Bayard. Le 21 août 1944, en gare de Saint-Julien-du-Sault, cet agent de liaison du maquis Cudot participe avec son père au désarmement d’une quinzaine de soldats allemands. Elle est aidée par un autre agent de liaison du même groupement, Arlette Pillot, âgée de 22 ans et secrétaire également. Celle-ci s’engage après la Libération au 1er Régiment des Volontaires de l’Yonne. Lucienne Paillot enfin, évoquée plus loin, travaille pour le réseau Eleuthère aux côtés de son père Camille, ancien pilote de la Grande Guerre, qui est le responsable tonnerrois de ce réseau.

Dans ces familles plus ou moins intégrées à des groupes sédentaires (des résistants non clandestins conservant leur métier et leur domicile), l’activité résistante se partage pratiquement entre intérieur et extérieur. L’épouse est la gardienne du foyer tandis que l’homme le quitte pour des actions dangereuses et violentes (sabotages, parachutages ou combats). Il est donc directement en contact avec l’organisation de résistance tandis que sa femme en est plus éloignée. Cette situation explique les différences d’affiliation aux organisations entre hommes et femmes. A la Libération, celles-ci se retrouveront à une place largement périphérique et ne seront pas facilement reconnues et immatriculées par les officiers liquidateurs. C’est le cas par exemple de Mme Préau accueillant chez elle, au hameau de Villefroide (Les Bordes), le noyau du maquis FTP Bourgogne dont le chef Henri Mittay s’installe ensuite au domicile des époux Solmon au hameau de la Grange-aux-Malades.

 

La résistance en couple : une charnière efficace

Il existe de nombreux cas de duos résistants forts complémentaires. A Chastellux, Mme Pieuchot, l’épouse du fermier Henri, résistant de Libération-Nord, devient experte en faux papiers, imitant parfaitement la signature du sous-préfet Vincent, tandis que son époux diffuse du matériel de propagande et des armes. A Sens, après l’arrestation en juin 1943 de son mari Pierre, responsable du BOA, Germaine Castets, 45 ans, assure une permanence chez elle comme agent P1 du réseau « Action RD ». A Arces, la cultivatrice Blanche Vuylsteke, 50 ans en 1943, héberge des responsables communistes et aide son époux Jérôme, maquisard au groupe FTP Victoire puis à la compagnie Rouget de Lisle, à convoyer et à cacher des armes parachutées à Arces au printemps <st1:metricconverter w:st="on" ProductID="1944. A">1944. A</st1:metricconverter> Cheny, Jeanine et Robert Quéro animent ensemble le Front national et hébergent des responsables. Au maquis de Suy, Rolande et Georges Dié résistent ensemble au maquis. A Chassy, Robert et Marcelle Sculier forment un couple combattant du maquis de l’Etang-Neuf (JMB). Marcelle s’y révèle une maquisarde efficace, sabotant les cars des Rapides de Bourgogne ou arrêtant des soldats allemands à la Libération. L’ardeur du couple, notamment contre les collaborateurs, est même notable dans l’Aillantais.

Ces cas sont également nombreux pour les groupes sédentaires, à l’image d’Henri Séguinet et de son épouse qui est agent de liaison FTP à Laroche Migennes. A Tonnerre, le couple Guillot est la boîte aux lettres de la cellule Suzon à Tanlay. Eugène et son épouse Mariette, 51 ans en 1944, servent d’agents de liaison et de renseignement sous le pseudonyme de « Photographe ».

Plusieurs époux sont entrés ensemble en résistance et se sont renforcés dans l’épreuve, qu’il s’agisse d’unions récentes ou plus anciennes. Germaine et Robert Bailly se marient en 1937 et partent en voyage de noce en URSS. A leur retour, ils militent au sein des Amis de l’URSS, une association qu’ils font vivre dans le département. En 1941, à 30 ans, Germaine, couturière, participe avec Robert, instituteur, à la reconstitution du parti communiste icaunais et à la constitution des premiers groupes auxerrois du Front national. La même année à Tonnerre, les enseignants Mariette et Abel Minard organisent les premiers groupes de résistance communiste. Parmi les notables de cette même ville, Hedwige et Henri Camus, mariés depuis 1925, dirigent une importante affaire industrielle. En 1943, ils implantent à Tanlay la cellule de parachutage Suzon, rattachée au réseau polonais F2. Hedwige, 37 ans, organise sur son domaine de Maison Rouge le soutien logistique et y héberge de hauts responsables du réseau comme Léon Sliwinski et Wladislava Sliwinska, son épouse. En 1943, un autre couple d’enseignants, militants socialistes cette fois, Pierre (secrétaire fédéral de la SFIO) et Germaine Vauthier, 43 ans, font partie à la fois de Bayard et de Libération-Nord à Joigny. A Mailly-la-Ville, en 1942, les deux frères Lucien et Louis Sautreau épousent le même jour Marcelle Foutrier et Denise Patin, 26 et 20 ans. Les deux couples luttent au sein du Front national et des FTP. Le foyer de Lucien et Marcelle est le lieu de naissance du groupe Camélinat, noyau du maquis Camille Desmoulins et de la future compagnie Colbert. Marcelle se charge de la diffusion des tracts, du ravitaillement et de l’hébergement des maquisards dans l’hiver 1943-1944, Louis guide les hommes au maquis. L’une et l’autre belle-sœur ne cessent d’opérer des liaisons. En 1944 à Toucy, Emeline Pierre anime un groupe sédentaire hébergeant des responsables et entrepose des armes tandis que son époux a gagné le maquis de Merry-Vaux en juin.

            La Résistance a également favorisé la naissance de certains couples, quelquefois sous forme d’unions libres. En mars 1941, Lucienne Rolland, qui opérait à Sens sous le pseudonyme de Madeleine Guillot », s’est réfugiée à Auxerre pour échapper à une arrestation (21). Elle y rencontre Jules Brugot. La vie commune de ces deux résistants communistes est de courte durée et se termine d’abord par leur arrestation le 26 août 1941 puis par la tragique disparition de Jules Brugot, fusillé à Egriselles le 13 janvier 1942. Une fille, Juliette, naîtra de leur liaison (22). Marie-Yvonne Mongeville et Gaston Chavanne, elle divorcée et lui veuf, vivent et résistent ensemble à Diges. En 1944, à chacun de ses déplacements dans l’Yonne, André Dessèvre, membre de l’état-major FTP, est accompagné par sa maîtresse Gisèle.

            Certains couples ont prouvé leur solidité dans l’adversité et quand il l’a pu chacun des époux a protégé l’autre. Ainsi en est-il à Auxerre du couple Bobin qui diffuse la presse communiste et héberge des clandestins pour les FTP. Ils sont tous deux arrêtés le 24 mai 1944 et soumis à interrogatoire. Raymonde, 26 ans, infirmière à l’Hôpital psychiatrique d’Auxerre, est rapidement relâchée pour raison de santé. Robert, torturé à la prison d’Auxerre, est finalement déporté (23). A l’été 1943 à Sens, Mme Rouzeau du Front national ment aux Allemands venus chez elle arrêter son mari Maurice. Elle protège sa fuite et le déclare en voyage à Paris pour mieux le rejoindre à la ferme des Cherpi à Vaudeurs. Le 16 décembre 1942, Sidonie Chabanna, qui vient de subir la perquisition du commissaire spécial Grégoire, prévient son époux Georges à son retour. Mais celui-ci préfère « réapparaitre » de peur de représailles (24). Il est arrêté le lendemain sur son lieu de travail. André Vildieu, membre du Front national à Coulanges-la-Vineuse, dissimule à son épouse ses activités et met uniquement sa mère dans la confidence. En 1944 à Migennes, Emma Bruchard, 24 ans, mariée depuis janvier 1940, découvre l’activité résistante de son mari André qui l’associe alors à son groupe sédentaire FTP. Elle cache Louis Riglet, victime d’un accrochage avec les Allemands et soigne Max Coët qui s’est blessé dans un sabotage.

Par ailleurs certaines idylles ont abouti à des mariages célébrés après la guerre et unissant la plupart du temps les membres d’une même organisation (25). Charles Albert Houette, chef du Maquis 1 du Service National Maquis épouse l’infirmière Geneviève Madamour en décembre <st1:metricconverter w:st="on" ProductID="1945. A">1945. A</st1:metricconverter> la Libération, le médecin Paulette Ziller anime avec le docteur Véron le poste de secours du Service National Maquis à Lainsecq. Elle devient ensuite Madame Véron. Robert Charmant, de la compagnie FTP Pierre Dumont, épouse une agent de liaison, fille de Marie-Yvonne Mongeville, en 1946. Jean Longhi, FTP, responsable départemental Maquis de la Nièvre et lié à la résistance avallonnaise, épouse son agent de liaison Yvonne Bonin. Robert Loffroy, recruteur puis responsable FTP, épouse l’agent de liaison Yvonne Couhault de la ferme Couhault-Bonin où il disposait d’une « planque ». Bernard-Charles Sautereau, un des fondateurs du maquis de Merry-Vaux, épouse Gisèle Caillat, l’agent de liaison de Marcel Choupot, chef départemental FFI de l’Yonne. Lucile Savard ("Claude Berval"), 25 ans en 1944, est agent de liaison de Bayard et fréquente Gaston Vée ("François Lejeune"), le responsable civil de Libération-Nord à partir de mars 1944. Elle devient sa maitresse et divorce en 1947 pour l’épouser. L’agent de liaison FTP Carmen Fruitier épouse après la guerre le lieutenant Perrot (« Charly »), ayant repris la direction de la compagnie FTP Colbert après la mort de Maurice Sellier (« Michel ») en août 1944.

 

La résistance en solo des amazones

            Claire Andrieux dit, en citant Annie Guéhenno (26), que certaines femmes ont vécu leur « vie d’hommes », désignant celles qui ont transcendé le clivage masculin-féminin pour vivre une Résistance militaire. Elles ont fondé des groupes de résistance, exercé de hautes responsabilités ou ont combattu les armes à la main. Elles sont généralement jeunes, célibataires ou séparées de leur mari. Elles sont également beaucoup moins nombreuses que les autres résistantes.

            Certaines sont encore mal connues comme Marie-Louise Golmann ("Léna"), 25 ans, qui est membre du groupe de Surgy qui rejoint le Maquis 3 du Service National Maquis au début juillet 1944. Cette infirmière est présente lors du combat du Bois-Blanc le 3 juillet 1944 et y meurt dans des circonstances mal définies. Depuis 1943, une autre infirmière, Lucienne Paillot, 33 ans, est l’agent de renseignement « Lulu » du réseau Eleuthère pour lequel elle transmet d’importants documents qu’elle a soustraits aux Allemands, le jour de la perquisition de son domicile. Elle en sera récompensée après la guerre par une citation (27) du général de Gaulle à l’ordre du régiment : « Excellent agent, audacieuse et d’un sang froid sans égal. A fourni au Commandement des renseignements de premier ordre ». En 1944, elle exerce des responsabilités au sein de la direction de Libération-Nord. Elle organise les groupes sédentaires tonnerrois avant de participer à l‘implantation du maquis des Iles Ménéfrier en août.

            Depuis 1942, Irène Chiot, assistante sociale, a fondé un groupe jovinien vraisemblablement apparenté au Front national et qui a su garder son indépendance malgré plusieurs contacts avec Bayard et le réseau Jean-Marie Buckmaster. En liaison avec ce dernier, elle réceptionne des parachutages puis tient un dépôt d’armes à son domicile d’Epizy. Elle en distribue à l’état-major FTP de l’Yonne mais aussi aux FTP-MOI de la région parisienne, notamment à Michel Herr et à Jorge Semprun qu’elle héberge chez elle. Son groupe, très actif, est à l’origine de nombreux sabotages dans la région. Dans le Sénonais, Catherine Janot, étudiante parisienne, aide à l’évasion de prisonniers avant d’appartenir successivement à trois réseaux, deux réseaux d’évasion (Comète et Bourgogne) et un de renseignement (Vélite-Thermopyles). Elle fait libérer du Stalag son mari, rejoint l'Algérie avec lui pour revenir libérer le territoire au sein des Commandos de France (28). Maria Valtat, fondatrice dans l’Avallonnais du Front national et des FTP, quitte l’Yonne à l’automne 1942 et devient responsable interrégional de l’espace Bourgogne-Aube-Marne. En mai 1943, elle part à Paris où elle occupe de hautes responsabilités à l’état-major national FTP. En août 1944, elle dirige l’insurrection parisienne du troisième arrondissement.

            Certaines femmes ont gagné la clandestinité et, comme les hommes, ont été homologuées au sein des unités combattantes. La plupart d’entre elles sont célibataires ou séparées de leur époux. Dans l’été 1943, Paulette Buchillot, déjà citée, fait partie du groupe d’Irène Chiot et participe le 7 octobre 1943 au sabotage d’un train de munitions en gare de Pontigny. A la même époque, Louise Gaudinot, employée de banque à Auxerre, est rattachée à l'état-major FTP de l'Yonne avec le grade de sous-lieutenant. Elle réussit dans la nuit du 10 au 11 novembre 1943 à placer une gerbe tricolore sur le monument aux morts d’Auxerre gardé par les Allemands (29).  Léa Paris, serveuse à Migennes, 36 ans, membre du groupe Riglet, multiplie les sabotages par incendie et participe l’année suivante aux combats de la Libération de Paris.

            Mais les femmes mariées ne sont pas en reste. Odette Pelletier signe son engagement en 1944 et quitte son emploi au Prisunic pour être agent de liaison de l’état-major FTP dans le Sénonais. Dans son appartement de Sens, elle héberge des responsables et cache des armes alors que son mari Jean est à la tête du groupe Emilien Jacquin. Geneviève Madamour, 30 ans en 1944, est une infirmière de la Croix rouge à l'Union des femmes de France et se retrouve dans une ambulance pendant la campagne de France. En juillet 1944, elle rejoint le Maquis 1 du Service National Maquis à Bléneau et en soigne les blessés. Elle participe ensuite à la campagne des Vosges au sein du 1er bataillon du 1er régiment du Morvan avant d’intégrer le corps des Auxiliaires Féminines de l’Armée de Terre (AFAT) en mars 1945. On peut enfin évoquer le parcours particulier des FANY (First Aid Nursing Yeomanry : compagnie des infirmières d’urgence) parachutées en France. Marguerite Knight (30) (« Nicole ») est ainsi parachutée dans la nuit du 5 au 6 mai 1944 en Côte d’Or d’où elle gagne le PC aillantais de Frager du réseau JMB, dépendant du SOE (Bureau des opérations spéciales). Cet agent de liaison aide aussi à réceptionner des parachutages et à faire l’inventaire des armes.

 

 

 

 

 

3. La résistance des femmes : pourquoi s’engagent-elles et que font-elles ?

 

Les spécificités de l’engagement féminin

            Les motivations ordinairement avancées pour expliquer l’engagement résistant masculin se retrouvent évidemment pour les femmes, qu’il s’agisse de la haine de l’occupant, de l’antifascisme, du patriotisme ou du poids du milieu social ou familial.

            A Sennevoy-le-Bas, en 1943, l’épicière Augustine Portmann, 36 ans, dont le mari est parti travailler en Allemagne, ravitaille les maquisards du Vauban. Lucienne Rolland et Odette Pelletier sont des militantes de gauche qui ont participé aux luttes des années trente et qui se retrouvent dans la résistance communiste. En 1940, Lucienne Rolland, 21 ans, est ouvrière à l'usine Mors de Sens et militante active du parti communiste. Fille d’un socialiste pacifiste, elle anime clandestinement un petit groupe communiste dans le Sénonais. Odette Pelletier, 27 ans, est une militante de l'aile gauche de la SFIO qui, après avoir adhéré au mouvement Amsterdam-Pleyel, rejoint en 1943 la résistance sénonaise FTP avec son époux Jean. D’autres femmes s’engagent au nom de la patrie, par germanophobie et sous l’influence d’un parent ayant vécu la Grande Guerre. A Tonnerre, Lucienne Paillot est la fille d’un « as » de l’aviation, capitaine de réserve et membre du réseau Eleuthère. A Joigny, Emilie Herbin est l’épouse d’un grand blessé de la Grande Guerre, Paul, fondateur du groupe Bayard.     

A ces motivations se combine l’effet d’entraînement du milieu environnant. A Lainsecq, Octavie Cagnat, la veuve d’un ancien combattant, se rapproche de Marie-Louise Baudon, institutrice en retraite à Mézilles et lance avec l’abbé Bouiller le mouvement Résistance en Puisaye. Ces deux dernières exercent un grand charisme sur leur entourage familial. André Baudon, André et Roland Cagnat entrent probablement en résistance sous l’influence de leur mère. Tout comme Mme Boullé, du réseau Alliance à Avallon, a pu inspirer son gendre André Daprey (chef du maquis Garnier) et sa fille Denise.

            Au cours du conflit, les femmes n’ont pas manqué d’occasions de se dévouer et ont ainsi exprimé certaines valeurs de cœur, jugées traditionnellement féminines, comme le don de soi, le renoncement et la générosité. Suivant cette sensibilité, Robert Loffroy n’a-t-il pas écrit au sujet de l’agent de liaison Odette Pelletier qu’elle fut «pendant toute l’Occupation admirable de courage et de dévouement (31)» ? Un engagement plus spécifiquement féminin se laisse donc décrire, mais sans rien retirer aux hommes qui surent aussi faire preuve de solidarité dans l’action résistante. S’agit-il d’une motivation particulière ? La question peut se poser au regard de plusieurs exemples qui renvoient sans doute à la conception de l’identité féminine de l’époque. En 1944, Jeanne Varet, 41 ans, pharmacienne à Saint-Valérien, héberge la famille juive Sebag, les ravitaille puis contribue à sauver de la déportation le petit Fernand (32). Au cours des combats de la Libération, elle organise un poste de secours clandestin à La Belliole qu’elle alimente en médicaments. Elle soigne les maquisards, soit de la compagnie FTP Paul Bert soit du maquis Kléber. Paulette Ziller, médecin à Thury en 1940, fait évader des prisonniers de guerre en zone Sud. Arrêtée pour ce fait en avril 1941, elle est internée à Auxerre puis à Fresnes jusqu’en octobre. Partie ensuite en zone sud, elle y participe à la résistance au sein de Combat (33) avant de revenir à Thury à l’été 1944. Elle y soigne de nombreux maquisards blessés dans toute la Puisaye.

  Sous l’Occupation, les femmes ont dû déployer des trésors d’ingéniosité pour subvenir aux besoins de leurs familles. Certaines résistantes surent alors mettre à profit leur maîtrise du « système D » et leurs réseaux de solidarité. Suzanne Brisset, jeune institutrice d’Escolives, entre ainsi en résistance en collectant des fonds en faveur des familles d’enseignants destitués par Vichy (34). Membre ensuite du Front national, elle fréquente plusieurs militantes dont Blanche Roulot, Emilienne Ferry et Georgette Sansoy. Elle devient agent de liaison et achemine à vélo des provisions et du papier qu’elle parvient à se procurer grâce à son métier d’institutrice et de secrétaire de mairie. A Toucy en 1944, Aminthe Chabin, 38 ans, est un exemple parmi d’autres de postières ayant détourné des renseignements au profit de la Résistance. Cette sédentaire du mouvement Résistance intercepte les lettres de dénonciation et les remet au lieutenant André Genêt.

  Les sentiments, enfin, ont aussi joué leur rôle. Certaines femmes ont suivi un résistant pour lequel elles éprouvaient de l’amour ou de l’admiration. Louise Gaudinot admire ainsi Claude Burat, le chef du maquis FTP Gaulois, qui la convainc de devenir « Paule ». Mais elle est surtout sensible au charme de René Millereau (« Max »). En 1944, Carmen Fruitier, 19 ans, est la fiancée du FTP Roland Guibert (« Alain ») qui meurt lors du combat de Massangis le 23 juillet 1944. Robert Loffroy nous raconte la suite :

« Pour le venger, deux jours plus tard, elle quittait à l'insu de sa famille la maison de Mailly-la-Ville où elle résidait et, sur proposition de « Max », elle m'était affectée comme agent de liaison. Cette fille, peut-être un peu trop romanesque, était d’un courage sans pareil. Je ne la ménageais pas et, comme moi, du matin jusqu'au soir elle était sur la route. Jusqu'à la Libération, elle allait payer de sa personne, effectuant mes liaisons au travers du département, transportant les messages et parfois aussi des mitraillettes sur sa vieille bicyclette d'homme ».

            Plusieurs épouses rejoignent aussi leur conjoint dans la clandestinité au cours de l’année 1944, par un mélange de devoir et de fidélité et au nom d’un idéal commun. A Villeneuve-sur-Yonne, Edith Mittay doit suivre son mari Henri au maquis FTP Bourgogne. Des situations analogues se retrouvent pour Rolande Dié au maquis FTP de Fays et pour Rolande Hédou au maquis des Iles Ménéfrier. Les sentiments maternels ont aussi conduit certaines mères à entrer en Résistance pour soutenir un fils. A Joigny, Mathilde Fouffé, 46 ans, épaule son fils Marcel, résistant au sein du groupe Bayard.

 

            Y-a-t-il eu des organisations de Résistance féminines?

            La question se pose surtout pour la Résistance communiste pour laquelle des témoignages évoquent une « organisation des femmes » et au nom de laquelle des tracts (36) sont signés soit de la « La voix des femmes de Bourgogne » soit des « Comités féminins de l’Yonne ». Le parti communiste, à la différence des autres organisations, a très tôt cherché à organiser ses résistantes mais a aussi souhaité rallier « les ménagères », selon ses propres termes. Ce type d’organisation a-t-il fonctionné dans l’Yonne ? Un petit groupe (37) a très tôt fonctionné autour de Lucienne Rolland mais pour peu de temps puis les résistantes communistes ont été organisées d’abord au sein du Front national puis dans les rangs de l’UFF (Union des femmes françaises). Toutefois plusieurs points restent encore à éclaircir.

            Les archives attestent d’un tract sénonais daté du 6 novembre 1941, intitulé « La voix des femmes de Bourgogne » et recherchant le soutien des femmes de cheminots : « Nous voulons manger ». D’après nos connaissances, ce type de tract ne réapparait plus dans l’Yonne après cette date et nous ne pouvons en expliquer l’origine. S’agit-il d’une émanation des Comités féminins parisiens fondés par Danielle Casanova (38) et de résistantes communistes venues de la région parisienne ? A la même époque, dans l’Auxerrois, opère un groupe de résistantes du Front national. C’est la première trace d’« organisation des femmes ». Le domicile migennois des époux Picard, Andrée et Pierre, sert de dépôt à la presse clandestine en provenance de Paris. Tracts et journaux sont acheminés de Migennes par Andrée Picard qui les transmet à Germaine Bailly. Celle-ci les entrepose prudemment chez sa mère, 32 rue Michelet à Auxerre, avant de les diffuser dans l’Auxerrois et en Puisaye, aidée de Lucienne Rolland qu’elle a hébergée quelque temps. A partir du printemps 1942 et après l’exécution de son mari Pierre (39), Andrée Picard, 37 ans, quitte Migennes pour Auxerre et y assiste Germaine Bailly, qui est relayée dans le sud de l’Auxerrois par Emilienne Ferry de Vaux et Suzanne Brisset d’Escolives. Cette dernière écrit dans le dossier CVR d’Andrée Picard-Cairon à son sujet : « Andrée Picard de Migennes faisait partie avec Emilienne Ferry de Vaux, Germaine Bailly d’Auxerre, Lucienne Rolland d’Auxerre et moi-même du groupe de femmes du Front national. Le domicile des époux Picard de Migennes servait de refuge aux résistants clandestins de passage ainsi que de dépôt de matériel d’édition, de journaux et de tracts clandestins (…) qu’Andrée Picard était chargée de transporter en plusieurs points de l’Yonne, notamment à Auxerre

            L’expression « groupe de femmes » utilisée ici par Suzanne Brisset, allusion à l’« organisation des femmes », ne doit pas faire songer à une structure féminine autonome. Les résistantes étaient rattachées de manière informelle au Front national dont elles accomplissaient les missions. Depuis mai 1942, Marcel Mugnier (40), chargé de réorganiser le Front national, a rencontré à Migennes les époux Bouchard, Léon et Geneviève, et les époux Chabanna, Georges et Sidonie. Il a chargé Geneviève, 27 ans, de développer la section « femmes ». Aidée de Sidonie, celle-ci transforme son logis en boîte aux lettres, héberge les clandestins et diffuse des tracts. Mais en décembre 1942, le commissaire Grégoire perquisitionne le domicile des deux femmes et arrête Georges Chabanna. Léon Bouchard gagne l’Aube tandis que Geneviève (41), surveillée à Migennes, doit gagner la Marne où elle se voit confier la section « femmes ». L’« organisation des femmes » est mise en sommeil.

            Des tracts signés des « Comités féminins » réapparaissent pourtant au printemps 1943 et sont probablement l’œuvre de Louise Gaudinot, aidée par une migennoise de 20 ans, Micheline Boudinot (« Mireille »). Ils visent à rallier les mères de famille et dénoncent les difficultés du quotidien, agissant dans le même registre que le tract sénonais de novembre 1941.Un tract auxerrois du 5 mai 1943 réclame une augmentation de la ration mensuelle de savon et appelle maires et gérants de magasins à l’obtenir par transmission de pétitions à la Direction départementale du Ravitaillement. Les tracts sont diffusés aux ouvrières à la sortie des usines et des magasins. D’autres tracts, datés du 30 mai, jouent sur la Fête des mères et cherchent à émouvoir  « les mamans de France » qui doivent «  se priver pour que leurs enfants mangent », dont les fils sont envoyés « en Allemagne servir de chair à travail pour Hitler » ou qui restent seules quand « le père de vos enfants souffre depuis trois ans dans les camps en Allemagne ».

          A l’automne 1943, les tracts sont soit signés des « Comités féminins » soit de l’« Union des Femmes », sans qu’il soit possible de savoir s’ils émanent de groupes différents. Les Comités, aux tracts plus politisés, appellent à commémorer le second anniversaire de l’exécution des otages de Nantes et de Bordeaux, les 22 et 24 octobre 1941, et à se souvenir tantôt des douze résistants communistes icaunais fusillés en 1942 (42), tantôt de douze résistantes mortes en déportation : « A toutes les patriotes mortes pour la France dans les camps de concentration en Allemagne. De nombreuses femmes ont payé de leur vie le seul fait d’avoir combattu pour libérer la France du joug nazi (43) ». L’« Union des Femmes pour la libération de la France » dénonce de son côté la pénurie de vêtements et de chaussures et appelle même à la création d’un Comité de femmes par quartier.

            C’est à cette époque que l'état-major des FTP de l'Yonne a donc lancé l’UFF, une organisation satellite du PCF et reliée au Front national. Le parti communiste, conscient de la montée de la Résistance, espère alors intégrer de nouvelles candidates. Plusieurs responsables sont nommées, à commencer par Louise Gaudinot nommée pour l’Yonne et surtout pour l’Auxerrois. Elle s’appuie ailleurs sur d’autres militantes comme Gabrielle Champroux, 31 ans, directrice de l’école de filles de Rogny et déjà membre du Front national. L’UFF, qui appelle alors les ménagères à manifester contre les privations, connaît de véritables succès en 1944. Les autorités s’inquiètent des risques de débordement et le commissaire Grégoire fait surveiller les abords des entreprises. En février, l’UFF réagit en adressant les tracts aux domiciles des mères. Des rendez-vous sont donnés devant la Préfecture, devant les sous-préfectures ou les mairies pour manifester et y présenter des pétitions contre le marché noir et la pénurie de matières grasses. L’opération réussit à mobiliser plusieurs dizaines de manifestantes à Auxerre et à Sens, et même des centaines à Migennes. Les délégations porteuses de pétitions sont reçues par le sous-préfet à Sens et à Auxerre par le chef de cabinet du Préfet qui reçoit lui-même une autre délégation migennoise emmenée par le maire. Le commissaire Grégoire veille mais plusieurs autres actions similaires se reproduisent (44) et inquiètent les autorités qui, après enquête, ne peuvent rien faire contre les ménagères.

             Au total cette résistance féminine semble avoir été intermittente, très encadrée, mais a mené des actions originales à partir de 1943. Son existence est loin d’offrir la claire continuité qu’ont présentée les acteurs de l’époque, comme Robert Loffroy ou Suzanne Brisset, amalgamant « organisation des femmes », « Comités féminins » et « UFF ». Ce genre d’affirmation procède du « résistantialisme » communiste et est une reconstruction du parti communiste d’après-guerre, soucieux d’affirmer son omniprésence dans la Résistance.

            Une autre organisation, connue pour sa surreprésentation féminine, n’a pas longtemps vécu dans l’Yonne. C’est le réseau Alliance (45) dirigé au niveau national par Marie-Madeleine Fourcade. Le groupe avallonnais de l’abbé Bernard Ferrand, qui s’y est rattaché en 1943, comptait toutefois quelques soutiens comme Mme Boullé, belle-mère d'André Daprey, ou Gaëtane Borg, Gisèle et Marguerite Girvan, toutes trois arrêtées par les Allemands en novembre 1943, sans oublier Marie-Josèphe Leduc, évoquée plus haut.

           

Des fonctions sexuées et subalternes reflétant la société de l’époque

            Les résistantes ont opéré dans une société où la division sexuelle était beaucoup plus forte qu’aujourd’hui. La représentation dominante de la féminité était celle de la femme d’intérieur, bonne épouse et bonne mère. Résistants et résistantes n’y ont pas échappé et ont obéi à une typologie sexuée selon laquelle les femmes se devaient à une résistance essentiellement civile tandis que les actions militaires étaient réservées aux hommes. Ainsi le couple tonnerrois Hédou de Libération-Nord. En 1944, Roger supervise l’installation des maquisards, les parachutages et l’approvisionnement en armes dans le Tonnerrois tandis que Rolande héberge et soigne à son domicile les blessés (ainsi lors de l’attaque du maquis Horteur le 23 juin 44), prépare les parachutages de juillet 1944 avant de devenir infirmière au maquis des Iles Ménéfrier en août.

            Cette fragilité supposée a souvent permis de déjouer les soupçons de l’Occupant. La jeunesse, la maternité et même le charme du beau sexe semblent de prime abord incompatibles avec l’action violente. Les responsables des organisations ont ainsi utilisé les femmes qui en jouaient elles-mêmes. En septembre 1943, la jeune institutrice jovinienne Paulette Depesme, 25 ans, est contactée par son ami d'enfance Pierre Charnier, responsable d’une filière du réseau Bordeaux-Loupiac, spécialisée dans le rapatriement des aviateurs en Angleterre. Elle quitte l’enseignement et devient à Paris agent de convoiement des aviateurs qu’elle accompagne et guide lors de voyages en train entre l’Yonne et la Bretagne. Dans les compartiments de train, sa présence aux côtés des aviateurs pouvait renvoyer à l’observateur une image d’un groupe familial. A Migennes, juste après l’exécution de son époux, Andrée Picard diffuse des tracts en compagnie de son jeune fils Michel pour détourner l’attention. A la même époque, après l’exécution de leur frère et résistant communiste Claude Aillot, ses sœurs Louise-Michel, 16 ans, et Kaménéva, 14 ans, soutenues par leur mère, diffusent des tracts à Tonnerre. De nombreuses femmes ont ainsi diffusé la presse clandestine car leurs sacoches de vélo étaient rarement fouillées par les soldats allemands. Denise Patin-Sautreau emporte et distribue les tracts du dépôt d’André Vildieu situé à Coulanges-la-Vineuse tandis que sa belle-sœur Marcelle livre des armes au maquis Colbert. A Auxerre en 1944, Claude Mercier (« Nadine »), agent de liaison FTP, passe régulièrement à vélo devant les baraquements de soldats de l’actuelle avenue Mermoz sans jamais être inquiétée. Ses sacoches pleines de tracts n’éveillent pas la méfiance.

            Comme dans le monde du travail, les résistantes sont généralement cantonnées à des taches féminines et subalternes. Les hommes, qui sont souvent plus diplômés que les femmes, se retrouvent naturellement à des postes de commandement. Au printemps 1944, Rolande Dié, qui a pourtant œuvré à la fondation des maquis de Fays puis de Suy (au nord d’Arces) y est chargée des services sanitaires et de l’assistance aux familles de déportés. A Diges, Marie-Yvonne Mongeville, 41 ans en 1943, est la compagne de Gaston Chavanne, responsable du Front national. Elle s’y occupe de leurs sept enfants respectifs tout en transformant son domicile en base logistique pour les groupes sédentaires, futurs maquis Mirabeau et Jean-Jaurès. Elle entrepose armes et tracts et y héberge des réfractaires et des responsables. Au printemps 1944, elle ravitaille le maquis Jean-Jaurès et va même jusqu’à y monter la garde. A son retour d’Algérie dans les Commandos de France, Catherine Janot est devenue simple conductrice d’ambulance tandis que son époux prend part aux combats de la Libération. La femme finit donc toujours sous les ordres d’un homme. En juillet 1944, l’infirmière Lucienne Paillot est chargée de l’unité sanitaire de la compagnie hors-rang du maquis des Iles Ménéfrier mais passe ensuite sous le commandement du docteur Orthodoxu.

            Cette domination masculine est également à l’œuvre au sein des couples de résistants. La femme y est systématiquement l’auxiliaire ou le bras droit de son mari, même à compétence égale. A Joigny en 1943, la commerçante Aliette Thibaut, 40 ans, participe à la Résistance sous le commandement de Robert, son époux et chef de groupe de Bayard. Elle réalise de fausses cartes, héberge des réfractaires et cache un opérateur radio, installé en décembre 1943 par Jean Marot. Raymond Mare, du groupe FTP Boigegrain, commande à sa femme Jeannette et à Jeanine Servais le sabotage de l’usine de la Mousse à Sens en octobre 1943. En 1944, Henri Camus, de la cellule Suzon, charge sa femme du transport de matériel radio et de messages à Paris. En 1944, Roger Picand, responsable des maquis de Libération-Nord, y place des réfractaires et confie la logistique, notamment l’état civil clandestin, à son épouse Simone. Revenant sur son propre cas après la guerre, Germaine Vauthier, de Libération-Nord, écrit : « Mon mari était un combattant de l’ombre (…) et moi j’étais dans l’ombre de mon mari, sans même un nom de guerre. (…) Je ne partageais pas les activités clandestines de Pierre au vrai sens du mot puisqu’il ne me confiait que les ordres que j’avais à exécuter (46) ».

            Il n’est donc guère étonnant, dans l’Yonne, de constater l’absence de femmes aux postes dirigeants des organisations locales ou nationales Les responsabilités que certaines, résistantes comme Irène Chiot, ont exercées dans la formation et la direction des premiers groupes ont été de courte durée ou se sont achevées par l’affiliation à des organisations de Résistance.  

            Les femmes ont été ici comme ailleurs des intendantes de la Résistance, souvent sous-employées dans des fonctions logistiques. D’après notre échantillon et sans éviter les doubles comptes, de nombreuses résistantes ont pratiqué l’hébergement (planque, réunion et dépôt clandestin) et près d’un tiers était agent de liaison. Viennent plus loin derrière les agents de renseignement et de propagande ou les infirmières. Plusieurs parcours plaident pourtant leur polyvalence et leur capacité d’adaptation. Gisèle Caillat, postière à Auxerre, participe à la réception par parachutage du major SAS Harrison au sein du maquis de Merry-Vaux à Saint-Aubin-Château-Neuf. A la Libération, elle s’engage et se retrouve mutée aspirante à l’état-major de la 4e Division marocaine de montagne lors de la campagne d’Allemagne. A Joigny, Jacqueline Herbin, elle aussi déjà citée, participe à toutes formes d’actions : évasion de prisonniers, renseignement par écoute téléphonique, liaisons, sabotages et parachutages.

 

4. Face à la répression : quel est le prix de l’engagement féminin ?

 

Courage et sacrifice

            Les résistantes, qui n’ont pas hésité à courir les risques de la clandestinité, ont été souvent conduites à protéger leur famille. Certaines d’entre elles ont ainsi été confrontées à l’arrestation ou à la chasse faite à leur époux. Mme Cheveau, dont le domicile à Quarré-les-Tombes est une planque du Front national, est arrêtée à la place de son mari Georges (« Popol ») mais est rapidement relâchée. Même scénario pour Germaine Poitout, 35, ans épicière à Asnières-en-Montagne (Côte d’Or) près de Ravières et qui soutient (armes, hébergement) le maquis Vauban dont le mari est membre. Elle est arrêtée le 16 décembre 1943 et est interrogée quelques jours par les Allemands. En revanche Madeleine Plait et Simone Picand, de Libération-Nord, sont arrêtées car leurs époux échappent aux Allemands et à la police de Vichy. En novembre 1943, Madeleine Plait est appréhendée par des gestapistes français à son domicile d’Argenteuil puis est conduite à la Kommandantur de Montbard et à la prison de Fresnes (47). Simone Picand est arrêtée à Tonnerre en avril 1944 et reste plus de trois mois à la prison d’Auxerre. Elles sont toutes deux soumises à de rudes interrogatoires mais restent stoïques. En décembre 1942, après l’intervention de la police française, les deux migennoises Geneviève Bouchard et Sidonie Chabanna se retrouvent privées de leur mari mais se font fort chacune de maintenir leur activité de résistance. Et cette résolution se renforce chez les résistantes qui deviennent veuves après l’exécution de leurs maris, comme c’est le cas pour Mariette Minard et Marguerite Froissart (48) à Brion, ou pour Marie Ramelet à Ravières. En 1944 et après l’arrestation de son l’époux Gabriel (49), celle-ci, âgée de 57 ans, reste un soutien du Front national et du maquis Vauban.

            Plusieurs femmes ont accepté de sacrifier leur vie professionnelle ou familiale pour entrer en résistance et ont manifesté une forme de courage incontestable bien que peu spectaculaire. Celles qui travaillaient, beaucoup moins nombreuses qu’aujourd’hui, ont quitté un emploi synonyme d’indépendance. Louise Gaudinot abandonne sa place à la banque d’Auxerre tandis que les enseignantes Paulette Depesme et Paula Buchillot ne font pas la rentrée scolaire d’octobre 1943. Celles qui étaient mariées ont dû accepter la séparation imposée par la clandestinité. En 1943 à Sens, Maurice Rouzeau et sa femme, une fois engagés au Front national se perdent de vue pour de longs mois mais se retrouvent parfois au hasard de leurs missions. Certaines ont accepté de partager sur le terrain l’action résistante de leur mari : ainsi en 1944 Marie-Louise Paillier (« Miquette »), jeune mère, accompagne en Puisaye son mari Michel Paillier (« Mic »), responsable du BOA et des parachutages du Service National Maquis. Celles qui avaient de jeunes enfants se sont souvent privées de leur rôle de mère et les ont laissés à contrecœur à la garde d’un parent ou d’un ami. Geneviève Bouchard, qui avait déjà confié son plus jeune à ses grands parents de Billy-sur-Oisy, place ses aînés dans l’Aube avant de quitter l’Yonne. Rolande Dié rejoint son époux au maquis de Suy après avoir placé ses deux jeunes garçons dans sa famille. Jeannine Quéro ("Ginette") laisse son fils à sa grand-mère pour se consacrer au convoiement des responsables du Front national.

Les résistantes ont su prendre de grands risques et faire preuve de bravoure. Le 18 août 1944, Jeanne Varet n’hésite pas à conduire Christian Fouré et Moccolo du maquis Kléber à l'hôpital de Sens. Certaines résistantes ont malheureusement perdu la vie pour prix de leur engagement. A Sens au cours de l’année 1940, Alice Guilhem, interprète à la Kommandantur, prend le risque, lors de ses séjours à Strasbourg, de transmettre des renseignements à son beau-frère qui y est officier. Le 10 janvier 1941, elle est assassinée par un sous-officier allemand dans un café sénonais. Est-ce un geste de répression ? Aucune preuve ne nous permet actuellement de l’affirmer. Au cours du combat du Bois Blanc le 3 juillet 1944, Marie-Louise Golmann se serait suicidée pour ne pas tomber vivante aux mains des Allemands. A Guerchy, lors de l’attaque allemande du 13 juin 1944, les FTP Marcel et Yvonne Dumont résistent dans leur ferme assiégée par les Allemands. Espérant revoir ses filles, Yvonne est la seule à se rendre et est abattue froidement. Cest l’une des rares résistantes qui ait été exécutée dans l’Yonne. Si les Allemands maltraitent celles qu’ils jugent résistantes, ils ne les tuent pas et préfèrent les déporter. En revanche, celles qu’ils affrontent les armes à la main sont assimilées à des soldats et peuvent être froidement exécutées (50).

 

Réagir à la répression

            Certaines résistantes ont eu la chance d’échapper à une arrestation par ignorance ou négligence des autorités. Au cours de la vague de répression anticommuniste du printemps 1942, Emilienne Ferry et Mariette Minard ne sont pas arrêtées, à la différence de leurs époux (51). La Gestapo et les services du commissaire Grégoire ont-ils mésestimé leur implication ou bien ont-ils agi uniquement d’après les renseignements de Ringenbach ? Deux autres militantes, Suzanne Brisset et Berthe Gaudel, seront pourtant arrêtées le mois suivant. La chance a souri à quelques-unes. A Grandchamp, Paulette Ragu, membre du mouvement Résistance aux côtés de son époux Martial, échappe de justesse à l’opération de police du 3 août 1944.

            D’autres femmes durent quitter le département, comme Léone Delcroix du réseau Ronsard-Troëne, 40 ans, qui s’exila de Sens avec son époux Jean et sa fille Jacqueline le 23 septembre 1943. Elle gagne Valence dans la Drôme où elle devient l’agent de liaison du réseau Gallia (colonel Thomas). D’après l’attestation de Maxime Courtis, figurant dans son dossier CVR et datée du 23 août 1952, elle était « traquée par la Gestapo ainsi que son mari et sa fille (…) elle dut comme les siens tout abandonner et quitter au plus vite Sens pour éviter une arrestation certaine et imminente. » Ce départ précipité peut-il être rapproché de la vague d’arrestations provoquées par Marius Guillemand ? La question, sans réponse aujourd’hui, peut se poser (52). En décembre 1943 à Paris, Berthe Descottes, femme de ménage de 57 ans, se réfugie à Courlon où elle devient agent de liaison pour le maquis de Courlon (JMB). En juin 43, Jeanine Quéro, 25 ans, échappe à une arrestation et se réfugie en Sâone-et-Loire. A l’inverse, certaines résistantes se sont réfugiées dans l’Yonne. Marie Grüneisen, 32 ans, membre de l’Union des mouvements de Résistance luxembourgeois, quitte Differdange (Luxembourg) en janvier 1944 pour Cézy où elle devient agent occasionnel du réseau JMB. Au début de 1944, Claude Mercier ("Nadine"), 17 ans, quitte Le Creusot de nuit pour échapper à une arrestation. Cet agent de liaison du Front national rejoint Monéteau où elle tient une imprimerie clandestine au côté de son compagnon Yves Labalette. Elle opère aussi des liaisons dans l’Auxerrois pour le compte de l’état-major FTP.

            Une fois arrêtées, les résistantes subissent un interrogatoire qui est rarement exempt de mauvais traitements, surtout quand les Allemands sont persuadés d’avoir affaire à des « terroristes ». A Esnon, Suzanne Poey, 23 ans, est un agent de liaison du maquis Vauban. Après l’attaque de ce maquis le 19 octobre 1943 à la ferme des Essarts (Ravières), elle héberge plusieurs rescapés. Son frère Jean le dirige tandis que son mari Roland Lecerf en est membre. Elle est bientôt dénoncée et raconte la venue des Allemands dans son dossier CVR : « Les Allemands sont venus à la maison pour venir chercher mon mari et mon frère, ils m’ont mis un révolver sur le ventre et une mitraillette pour nous faire avouer (…) je crois que c’est la plus grosse peur de ma vie car j’ai eu ma petite fille mais elle n’a vécu que deux ans. »

            Au même moment, Julie Thiennot, 48 ans, dont le fils Louis est membre du Vauban, apprend sa mort à Pimelles. Elle est victime d’une perquisition et d’un interrogatoire mais maintient son soutien actif au maquis (hébergement, dépôt d’armes et petits sabotages). De son côté la jovinienne Jacqueline Herbin, 23 ans, agent de renseignement et de liaison du groupe Bayard, est arrêtée avec son frère le 21 mars 1944 et, pourtant enceinte de six mois, est soumise à de violents interrogatoires au siège de la Gestapo à Auxerre. Les Allemands, qui ont manqué l’arrestation de son père Paul, le chef du groupe, espèrent la faire parler (53). Le 12 avril 1944, ils la libèrent et elle reprend en juin ses activités de résistance après son accouchement. Marcelle Sculier est arrêtée le 4 août 1944 à la ferme de Beaumarchais de Malicorne d’où elle est conduite à la prison de Chatillon-Coligny (Loiret). Elle est blessée à la tête à coup de crosse puis est condamnée à mort le 9 août. Emprisonnée à Auxerre, elle est libérée le 23 août 1944.

            Dans le cas de rafles et d’arrestations multiples, les Allemands savent aussi s’acharner sur les plus jeunes, moins récalcitrants et susceptibles de faire plier les plus âgés. En février 1944, un règlement de compte entre résistants et collaborateurs ensanglante Saint-Léger-Vauban. Les époux Marie et Marthe Brizard, proches d’Armand Simonnot et du maquis Vauban, sont arrêtés et conduits à la prison d’Auxerre. En représailles, le maquis Vauban exécute un milicien. Allemands et miliciens retournent exercer une terrible répression au village. Renée Brizard, 19 ans, la plus jeune des filles, est soumise à un violent interrogatoire puis emmenée avec sa sœur aînée Andrée, 25 ans, à la prison d’Auxerre. Libérées deux semaines pus tard, elles ne reverront leurs parents qu’à leur retour de Ravensbrück et de Buchenwald en mai 1945.

            Mais les Allemands doivent parfois affronter des personnalités plus fortes et plus expérimentées. Marie-Louise Baudon, 58 ans, est un redoutable adversaire qui leur donne beaucoup de fil à retordre. Responsable du mouvement Résistance en Puisaye et dans l’Yonne, son domicile de Mézilles est l’un des PC du département. Arrêtée en avril 1944, elle est maltraitée mais fait preuve de sang froid et de malice pour résister aux interrogatoires et à la prolongation de son internement qui durera quatre mois (du 6 avril au 11 août 1944).

 

Arrestations et déportation

            Près d’une femme sur trois (environ 80) a eu affaire aux services de police allemands ou français pour une perquisition, un interrogatoire ou une arrestation, preuve s’il en était besoin de leur implication dans la Résistance et des risques qu’elles ont courus. Trois grands ensembles se dégagent de notre échantillon : les arrestations sans internement, les peines d’internement en France et les déportations.

            La première catégorie, une quinzaine seulement, regroupe les femmes ayant échappé à une véritable peine de détention et qui en ont été quittes pour une grande frayeur. Fin 1943 à Champignelles, Mireille Pauron, 33 ans, proche du mouvement Résistance, doit subir une perquisition et le rude interrogatoire du commissaire Grégoire. Un traitement identique est infligé l’année suivante à la jovinienne Madeleine Klain, 40 ans, membre du groupe Bayard et agent de liaison du maquis de Cudot.  « Je m’en suis tirée avec la peur » écrit-elle dans son dossier CVR. Germaine Bailly est arrêtée quelques jours au début de 1942 car les Allemands recherchent son mari Robert qui s’est évadé (54). Elle fait l’objet de fortes pressions avant d’être relâchée car la police française ne la soupçonne pas véritablement de participer aux actions de propagande du Front national auxerrois.

            Dans la seconde catégorie se rassemblent les résistantes victimes d’internement. Elles forment l’écrasante majorité, près des deux-tiers, des internées ayant passé plusieurs semaines à plusieurs mois en cellule, à l’exception de quelques-unes. Leur itinéraire est souvent le même : d’abord une prison icaunaise, Sens ou Auxerre, puis une incarcération à Fresnes, Compiègne ou Romainville. Augustine Portmann, soutien du maquis Vauban, est arrêtée à Sennevoy-le-Bas le 18 novembre 1943. Après un passage à la prison d’Auxerre, elle est internée à celle de Fresnes. Mais celles, très souvent militantes communistes, qui ont été arrêtées dans les premières années de l’Occupation ont été victimes d’une double peine, dont la première fut administrée par Vichy. L’Etat français, soucieux d’affirmer sa souveraineté face à l’Occupant, les a condamnées à de longs mois d’emprisonnement (55). Les autorités allemandes les ont ensuite déportées. Les deux résistantes communistes Suzanne Brisset et Berthe Gaudel sont arrêtées en février 1942 pour diffusion de tracts et sont condamnées à de lourdes peines (deux ans pour Berthe et pratiquement deux ans et demi pour Suzanne), purgées pour l’essentiel à Troyes. Suzanne Brisset est même envoyée sans jugement à la prison de Troyes parmi les condamnées de droit commun avant d’être versée dans le groupe des détenues « politiques ». Lucienne Rolland, arrêtée le 26 août 1941 à Auxerre par la police française, est condamnée à cinq ans de travaux forcés par la Cour de Paris. Incarcérée à la centrale de Rennes, elle est ensuite déportée à Ravensbrück. Son cas relève donc aussi de la catégorie suivante.

            Cette dernière catégorie est celle des déportées qui ont souvent fait partie de la seconde. On totalise une trentaine de femmes dont on connaît le parcours (56). Cet ensemble statistique est trop mince pour tirer de grandes conclusions mais quelques remarques peuvent être avancées. Les résistantes ont été beaucoup moins déportées que les hommes (57) mais n’ont pas été épargnées pour autant. Plus d’une résistante sur dix a été déportée et une déportée sur trois n’est pas revenue de déportation (58). Les Allemands considéraient ces résistantes comme des opposantes et les ont classées parmi les déportés politiques. Elles ont été destinées aux camps de concentration et ont été dirigées pour la plupart sur le camp de Ravensbrück. Parmi elles figure Lucienne Guyot, 32 ans, qui est membre du groupe de Soucy, une équipe de réception de parachutages du BOA. Arrêtée le 16 octobre 1943, elle est incarcérée dans les prisons de Sens, Auxerre, Dijon et Compiègne avant d’être déportée à Ravensbrück le 3 février 1944. Elle est libérée du camp de Buchenwald le 19 mai 1945. La première déportée serait Clémence Dupuis (« Charlotte »), 48 ans, responsable FTP d’un dépôt d’armes à Champvallon, qui est arrêtée et torturée en août 1942 par la police française (Brigade spéciale 2) avant d’être déportée depuis le fort de Romainville à Auschwitz, où elle est morte le 8 mars 1943. La dernière est probablement Odette Marlot, 51 ans, femme du docteur Marlot d’Appoigny : celui-ci, dont on ignore à quel groupe de Résistance il était affilié, a réussi à échapper à la déportation ; elle est internée à Auxerre en juin 1944 et déportée le 15 août suivant.

             La déportation s’est accélérée en 1944 et la grande majorité des départs se sont faits depuis les camps de Compiègne et de Romainville. De ce dernier partent au printemps 1944 entre autres trois résistantes communistes, Yvette Praz, 22 ans, institutrice sénonaise, Fernande Galicier (« Lucienne »), 26 ans, agent de liaison à Laroche et Ewa Tupinier, 36 ans, membre du groupe FTP Ferry de Chemilly-sur-Yonne, dont le mari a été arrêté et fusillé à Egriselles le 25 mai 1944, mais aussi Edwige Chaillou, sédentaire du mouvement  Résistance ou Aimée Marien, 47 ans, agent de l’ORA (Organisation de Résistance de l’Armée) comme son époux Marcel. 

Sur la dizaine de victimes des camps figurent celles qui périrent à Ravensbrück : Alfrédine Trameau, Léontine Gisclon (59), 44 ans, Ginette Silvère-Hamelin, architecte de 32 ans ayant rejoint son père à Quarré-les-Tombes au sein du Front national, Gabrielle Chanteloze, 60 ans, qui hébergea des aviateurs alliés pour Ceux-de-la-Libération et Charlotte Cretton, 66 ans, qui était le contact auxerrois de ce réseau. A Auschwitz, au camp des femmes de Birkenau, disparurent Clémence Dupuis (« Charlotte ») et Yvonne Carré, 46 ans, qui animait à Vézelay un groupe FTP avec son époux Gaston. Il faut y ajouter Raymonde Salez (« Claude », « Mounette »), responsable des Jeunesses communistes dans l’Yonne en 1942. Arrêtée par les Brigades spéciales à Paris en juin 1942, elle est transférée du fort de Romainville au camp de Royallieu à Compiègne d’où elle est déportée en janvier 1943 à Auschwitz. Elle y meurt en mars 1943 (60). Marguerite Lauré, membre d’un groupe de résistance jovinien disparait à Mauthausen, Irène Chiot à Bergen-Belsen.

Parmi les déportées revenues au printemps 1945, plusieurs n’eurent pas la chance de revoir leurs proches. Geneviève Bouchard ne retrouve pas son époux Léon mort à Bergen-Belsen. Yvette Praz perd dans les camps son époux Hubert et son frère Raymond Bénard. Mais certains couples comme les Brizard ont la chance de se reformer. Toutes les rescapées sont profondément meurtries et surmontent parfois ce traumatisme par un mariage ou un remariage avec un résistant ou un déporté, plus à même de les comprendre. Ainsi Geneviève Bouchard épouse-t-elle Paul Verneiges, responsable communiste revenu du camp de représailles de Minen.

 

5 La reconnaissance à la Libération : quelle a été la portée de l’engagement féminin ?

 

Une présence timide dans les nouvelles assemblées 

            Sans droit civique ni culture politique, les femmes se sont battues pour un idéal d’émancipation et de démocratie dans une société qui les infériorisait (61). Ont-elles été payées de leur engagement après la guerre ? A la Libération, elles siègent dans tous les Comités de Libération mais sont encore très minoritaires. Le Comité départemental de Libération (CDL) compte seulement deux femmes, Louise Gaudinot et Maria Valtat la vice-présidente, alors que le CDL clandestin n’en comptait qu’une, Lucile Vée alias Claude Berval (Libération-Nord et parti socialiste). Paula Buchillot, d’abord membre du Comité local de Libération de Joigny est ensuite membre de la municipalité provisoire.

            Le droit de vote accordée aux femmes par de Gaulle (62) les rend électrices mais aussi éligibles. Leur place recule encore davantage dans les nouvelles assemblées élues. Certaines résistantes se présentent sans grand succès. Andrée Santigny est candidate malheureuse aux élections municipales d’avril 1945 à Avallon. Louise Gaudinot échoue aux sénatoriales de novembre 1946, comme Maria Valtat aux cantonales de septembre 1945 à Joigny. Celle-ci figurait toutefois sur la liste du député communiste Prosper Môquet, élu aux élections législatives d’octobre 1946. Enfin la résistante communiste Geneviève Bouchard est la première femme élue du Conseil général dans le canton d’Aillant-sur-Tholon en 1945.

 

Une présence timide dans les associations d’anciens 

            La fin de la guerre a fait primer l’aspect militaire et masculin de la Résistance sur sa composante civile et féminine. Très peu de femmes ont participé aux combats de la Libération et aux unités parties combattre en Allemagne. Seules quelques résistantes ont été immatriculées avec un grade militaire, comme Rolande Hédou ou Gisèle Caillat et bien peu ont gagné des décorations au feu. Cette dernière, comme Louise Gaudinot, sont décorées de la croix de guerre. Ce type de reconnaissance réservée aux hommes a même parfois suscité des réactions d’hostilité. A Champvallon, le 18 août 1946, est inaugurée à la mairie une plaque commémorative à la mémoire de la résistante Clémence Dupuis. Tout le monde résistant et les autorités locales sont présents et unanimes à célébrer cette « martyre des camps d’extermination allemands (63) ». Pourtant deux ans plus tard éclate une polémique entre Jean Marot, le président de l’Association des déportés, internés et familles de disparus de l’Yonne (ADIF) et le maire de Champvallon, officier et ancien combattant. Ce dernier refuse d’inscrire son nom sur le monument aux morts qu’il juge réservé aux militaires « morts pour la patrie », malgré une ordonnance de 1945 accordant aussi cette inscription aux « morts pour la France ». En 1948, le différend entre les deux hommes éclate dans la presse (64) et révèle les préjugés portés sur la résistance des femmes (65). L’homologation posthume d’un grade FFI fictif pour des faits de résistance civils, a fortiori chez une femme, explique le refus de l’édile. Mais en 1951, la médaille militaire est attribuée à titre posthume à Clémence Dupuis. Son nom est aujourd’hui inscrit sur le monument aux morts de la commune.

            Nombreuses sont les femmes qui se sont rapidement détournées des associations, à l’exception de quelques-unes comme Léa Paris ou Louise Gaudinot, militante de l'ANACR (Association Nationale des Anciens Combattants et Résistants de l'Yonne). Leur composition très masculine et les évocations de faits d’armes les dissuadaient d’y revendiquer une reconnaissance. Geneviève Bouchard est la seule femme portée à la tête d’une association départementale en 1963 : l’Association Départementale des Internés, Résistants et Patriotes (ADIRP). Après 1945, Lucienne Paillot garde quelques contacts avec l’amicale parisienne d’Eleuthère et participe, peu de temps, au Comité d’entente tonnerrois. En 1954, elle échoue même à obtenir le titre de Combattant Volontaire de la Résistance (CVR) car elle n’a pas fait homologuer son activité résistante avant la liquidation du réseau Eleuthère. Elle l’obtient finalement en 1976. De son côté, Emilie Herbin reprend la direction de l'Amicale Bayard en 1951 mais seulement en mémoire de son mari défunt. Mme Vauthier n’écrivait-elle pas au sujet de ce genre de reconnaissance : « c’est seulement en février 1953 qu’Henri (Pannequin) a pensé à me donner la carte CVR (66) » ? Au final peu de femmes ont été honorées et certaines servirent malgré elles d’alibi féminin dans les commémorations. A Auxerre en 1988, Marie-Louise Chanteloze-Chamoy, arrêtée et déportée en 1942 pour avoir hébergé des aviateurs, reçoit la Légion d’honneur après de nombreuses autres décorations : médailles de la Résistance et de la déportation ainsi que les croix de CVR, de la France libérée et la croix de guerre avec palme.

 

Une reconnaissance tardive

            Après la guerre, les résistantes de l’Yonne, comme ailleurs, ont été négligées pour plusieurs raisons, à commencer par le besoin de reconnaissance des hommes. Ceux-ci ont échoué en 1940 à défendre la France et à protéger leur famille. Mais militaires vaincus ou prisonniers revenus des Stalags, ils ont résisté. La validation de leurs « titres» auprès des organisations de résistance compense la défaite et rétablit d’un coup leur virilité et leur domination. A l’inverse, la modestie des femmes participe d’une intériorisation de leur faible importance dans une résistance jugée essentiellement militaire. Les femmes, conditionnées par leur éducation à l’effacement, ont conscience d’avoir accompli leur devoir mais sans jamais briguer une quelconque part d’héroïsme. Rares sont les femmes qui croient bon de témoigner, à l’instar de Cécile Lobry, responsable d’un réseau d’évasion sénonais, relatant discrètement sa détention dans une brochure intitulée Bagne de femmes. Germaine Vauthier, revenant sur son expérience, résume ainsi cette attitude : « Les souvenirs à raconter, j’en ai très peu qui vaillent la peine (67)». Enfin l’historiographie a sous-évalué la résistance féminine. Les historiens, victimes des représentations dominantes, n’ont retenu que quelques grandes figures emblématiques -Bertie Albrecht, Danielle Casanova ou Lucie Aubrac- détournant la résistance féminine de son aspect profond et original. A leur décharge, les femmes se dérobaient à l’analyse. Leur maigre immatriculation dans les organes liquidateurs de l’après guerre, leur faible demande de carte CVR et surtout leur absence dans les associations commémoratives ont largement contribué à les faire oublier.

 

            En France, le nombre des femmes résistantes est évaluée à environ 10%, une proportion correspondant aux détentrices de la médaille de la Résistance et de la carte de Combattant volontaire de la Résistance. Dans l’Yonne, les dernières recherches semblent confirmer cette estimation. Après la guerre, le sexisme ambiant et l’état d’esprit résistantialiste ont relégué les femmes au second plan. Six croix de la Libération ont été décernées à des femmes, 1031 à des hommes. L’écart s’est fort heureusement réduit aujourd’hui. Depuis les années 90, le souvenir de ces femmes émerge dans l’Yonne. Des cérémonies leur rendent hommage, sous forme de plaques ou de nom de rues (Alfrédine Trameau, Irène Chiot). Leur rôle est étudié par les historiens. L’inflexion de l’historiographie vers l’histoire sociale et l’importance désormais accordée à la « résistance civile » ont permis cette réévaluation tardive (68) alors que Jean Marot évoquait déjà dans son discours du 11 août 1946, tenu en l’honneur de Clémence Dupuis à Champvallon, « le rôle merveilleux des femmes dans la Résistance, leur sacrifice et leur héroïsme dans les camps…».  (69)

 

 

 

 

1. Signe des temps, le président Valéry Giscard d’Estaing fonde en 1974 le premier secrétariat d’Etat à la condition féminine qu’il confie à Françoise Giroud.

 

2 Actes du colloque, Les femmes dans la Résistance, UFF, éditions du Rocher, 1997.

 

3 Les publications étaient alors centrées sur les témoignages féminins et s’étaient constituées sous un angle moins historique que mémoriel. Alain Decaux, Le Chagrin et l’Espérance in Histoire des Françaises, t 2, la Révolte, Librairie académique Perrin, 1972, ou Annia Francos, Il était des femmes dans la Résistance, Stock, 1978.

 

4 Thébaud Françoise (dir.), Duby Georges, Perrot Michelle, Histoire des femmes en Occident, t. 5, Plon, 1992. Thébaud Françoise (dir.), Résistances et Libérations, France 1940-1945, Clio Histoire, Femmes et sociétés, n° 1, Presses universitaires du Mirail, 1995. Identités féminines et violences politiques (1936-1946), Cahiers de l’IHTP, octobre 1995. Albert Oriol-Maloire, Les femmes en guerre. Les oubliées de l’Histoire, éditions Martelle, 1995. Margaret Collins-Weitz, Les Combattantes de l’ombre. Histoire des femmes dans la Résistance, Albin Michel, 1997. Evelyn Morin-Rotureau (dir.), 1939-1945 : Combats de femmes. Françaises et Allemandes, les oubliées de la guerre, Autrement, « Mémoires », n° 74, octobre 2001. Mechtlid Gilzheimer, Christine Lévisse-Touzé, Stefen Martens (dir.), Les Femmes dans la Résistance en France, Tallandier, 2003.

 

5 Claire Andrieu, Les résistantes, perspectives de recherche, in A. Prost, La Résistance, une histoire sociale, éditions de l’Atelier, 1997. L’auteur explique et déplore le retard historiographique puis appelle à la constitution d’inventaires systématiques. Elle fait partie de cette génération d’historiennes qui ont démontré la dimension particulière de la Résistance féminine.

 

6 Claude Delasselle, Joël Drogland, Frédéric Gand, Thierry Roblin, Jean Rolley, Un département dans la guerre 1939-1945.Occupation, Collaboration et Résistance dans l’Yonne, éditions Tirésias, 2007, ARORY et La Résistance dans l’Yonne, cédérom, 2004 (mêmes auteurs plus Michel Baudot, Jean-Claude Pers, Arnaud Fouanon).

 

7 Jeanne Gillot-Voisin, Chemins de dames dans la Résistance bourguignonne, Clea Micro Edition, 1999 et Sylvie Latour, Les Femmes dans la Résistance côte-d’orienne, mémoire de maîtrise, Dijon, 1993.

 

8 Tous nos remerciements à son directeur, Georges Giner, qui nous a permis de les consulter et nous a donné l’autorisation d’en publier les photographies d’identité. Ces archives en cours de classement seront bientôt transférées aux Archives départementales de l’Yonne.

 

9 Le nombre des résistants a également été revu à la hausse et sera l’objet d’une prochaine étude.

 

10 Une bonne trentaine de résistantes se sont installées dans l’Yonne après la guerre alors que leur activité résistante ne s’y était pas déroulée. Elles n’ont pas été comptabilisées dans notre échantillon. Leurs dossiers, administrativement rattachés à l’ONAC de l’Yonne, constituent une source éparpillée de l’histoire de la Résistance et couvrent une bonne quinzaine de départements, sans compter le Sénégal et l’Indochine. Les départements frontaliers de l’Yonne correspondent à une dizaine de résistantes. 

 

11 Sans parler de celles qui ont disparu sans laisser de traces et dont l’existence nous est parfois signalée par les archives. Ainsi Germaine Guillerault, de Grandchamp, qui est condamnée par le Tribunal militaire d’Auxerre à trois mois de prison pour détention d’armes (Arch. dép. Yonne, 1 W 18).

 

12 Ce critère correspond à la logique de l’historien et non à celle des services de l’Etat qui cherchèrent très tôt à limiter les indemnisations accordées aux résistant(es). Un système de forclusion qui s’achevait en 1951 devait en verrouiller définitivement le nombre. Mais sous l’effet de pressions diverses, la date de forclusion fut plusieurs fois repoussée avant que la loi de 1975 ne la remette  partiellement en cause. L’appartenance à une organisation de Résistance ne peut donc se fonder uniquement sur cette homologation arbitraire.

 

13 L’administration conditionnait l’appartenance à la Résistance intérieure française (RIF) à un calcul précis de 90 jours d’activité résistante avant le 6 juin 1944 (loi du 25 mars 1949), un nombre ramené ensuite à 80 jours par la loi du 10 mai 1989.

 

14 Un chiffre en dessous de la vérité compte-tenu des femmes qui nous restent inconnues ou mal connues, sinon par un nom parfois cité dans le cédérom. Certaines restent encore à découvrir aujourd’hui, comme Paulette Goué-Prévost, de Saint-Sauveur.

 

15 En cas de noms composés dans l’article, le premier est celui de jeune fille et le second celui d’épouse. Certaines femmes sont mieux connues par ce dernier.

 

16 Voir chapitre 10 de Un département dans la guerre 1939-1944, ouvrage déjà cité.

 

17 Ce haut cadre du parti communiste est alors interrégional. Arrêté en avril 1940, il s’est évadé en décembre 1940 du camp de Chibron et, quand il le peut, revient clandestinement dans l’Yonne pour voir sa famille.

 

18 On pensait jusqu’alors que le réseau gaulliste Ronsard-Troëne, spécialisé dans la transmission de renseignements, n’avait pas disposé dans l’Yonne d’agents icaunais : André Poncy et René Laforest, qui ont opéré comme « radios » autour de Bray-sur-Seine et dans le Sénonais fin 1943 ne sont pas des Icaunais. En fait Jean Delcroix, agent du réseau, disposait d’un poste de radio à demeure et était en contact avec un responsable du réseau, Marcel Bureau, dit « Guéridon », qui était peut-être originaire d’un département limitrophe (Aube, Seine-et-Marne…). Il est donc probable que Ronsard ait été implanté plus tôt qu’on ne le pensait et que le départ (évoqué plus loin) des Delcroix en septembre 43 les ait empêchés de connaitre Poncy et Laforest.

 

19 Ici le BOA ne semble pas se rattacher à l’organisation icaunaise qui a suspendu ses activités dans l’Yonne à l’automne 1943 suite à la vague d’arrestations provoquées par Marius Guillemand. La famille Bonnamy a hébergé des résistants dont le capitaine Hiblot, chef de la Compagnie Valmy à Fontaine-les-Sèches (zone des parachutages) et connu sous deux pseudonymes : « Duncan » et «Goliath » quand il agit en tant que chef de secteur BOA. Un radio, « Charles », a émis dans la ferme Bonnamy

pendant tout le mois de mai 1943. Alfred Prieur et Pierre Castets, responsables sénonais du BOA, ont homologué quelques terrains dans le Tonnerrois à ce moment et auraient pu les connaître.

 

20 Fiancée de Paul Trameau, un des fils d’Alfrédine, avec lequel elle se marie après la guerre.

 

21 Elle est recherchée par la police française pour diffusion de tracts communistes et condamnée par contumace en mars 1941 à dix-huit mois de prison par le tribunal correctionnel de Sens.

 

22 Née en mai 1942, l’orpheline aura pour tuteur le résistant communiste René Matignon. Un destin tout aussi tragique a relié les fiancés Albert Gueusquin (« Bob »), et Raymonde Salez (« Claude »), deux responsables communistes qui sont intervenus dans l’Yonne en 1942. Raymonde, chargée d’y reconstituer les Jeunesses communistes, est morte en déportation en mars 1943 tandis qu’Albert a été fusillé à Paris le 9 juillet 1943. Ignorant sa disparition, il lui a dédié sa dernière lettre.

 

23 Il est déporté en juillet 1944 et meurt le 27 janvier 1945 au camp de concentration de Neuengamme.

 

24 Résistant communiste du dépôt de Laroche-Migennes, mort au camp d’Oranienburg le 30 avril 1945.

 

25 Il est, bien entendu, des cas contraires. Certaines relations ne survivront pas à la guerre.

 

26 Op.cit., Annie Guéhenno, L’épreuve, Grasset, 1968. Un récit de la résistante, également épouse du romancier Jean Guéhenno.

 

27 Citation du 10 novembre 1945 comportant l’attribution de la croix de guerre avec étoile de bronze.

 

28 Fondés par Henri d’Astier de La Vigerie au printemps 1944, les Commandos de France, constitués uniquement par des évadés de France, ont mené des opérations de harcèlement contre l’ennemi, en précédant les troupes ayant débarqué en Provence en août 1944.

 

29  D’après l’Yonne républicaine, édition du 21 août 1967, article signé de Gérard Vée.

 

30 Voir l’article de Thierry Roblin sur « Nicole » in Yonne Mémoire n° 20, novembre 2008.

 

31 Robert Loffroy, Mémoires de guerre inédits.

 

32 Le 24 février 1944 à Fouchères, les gendarmes arrêtent Jules Sebag, professeur de mathématiques au lycée de Sens, son épouse Andrée et sa belle-mère mais n’insistent pas pour retrouver le petit Fernand, âgé seulement de quatre ans. Jeanne Varet l’a fait cacher grâce à son aide-pharmacien, dans une maison voisine. Il sera le seul survivant.

 

33 Ses deux frères, René et Pierre, tous deux membres de Combat, sont arrêtés. En 1944, elle sauve René de Drancy en lui fournissant de faux papiers mais ne peut rien pour Pierre qui est déporté en 1943 et meurt à Dora.

 

34 Le préfet Joseph Bourgeois a destitué plusieurs enseignants en décembre 1940 pour leur participation à la grève du 30 novembre 1938. Suzanne Brisset est elle-même surveillée par la police des Renseignement généraux dont l’anticommunisme est attesté.

 

35 Robert Loffroy, Mémoires de guerre inédits.

 

36 Témoignage de Robert Loffroy par exemple. Tracts : Arch. dép. Yonne 1 W 103 et  1 W 193, entre autres références.

 

37 Jusqu’à son départ de Sens en novembre 1940, Lucienne Rolland anime un groupe du parti communiste. Elle reste en contact avec la région parisienne dont elle rapporte des tracts, ce que nous confirme un rapport du sous-préfet Stéphane Leuret au Préfet : « Le chef de l’organisation se trouve être une femme de 20 ans, Lucienne Roland, (qui) possède un domicile à Paris, un PC à Gron (…). A l’heure où la femme Roland donne ses paquets de tracts, elle quitte Gron avec armes et bagages pour regagner Saint-Ouen. » (rapport du 13 janvier 1941, Arch. dép. Yonne, 1 W 92).

 

38 Résistante communiste morte en déportation à Auschwitz. Responsable des Jeunesses communistes puis fondatrice de l’Union des Jeunes filles de France avant la guerre. A l’automne 1940, elle installe en région parisienne les Comités féminins puis diffuse la presse clandestine et notamment la Voix des femmes.

 

 

39 Victime de la répression anticommuniste du printemps 1942, il est fusillé le 25 avril 1942 au champ de tir d’Egriselles, près d’Auxerre.

 

40 « Albert », responsable départemental du parti communiste, arrive dans l’Yonne après les exécutions d'avril 1942 et réorganise le Front national en quelques mois.

 

41 Georges Chabanna et Léon Bouchard seront tous deux déportés et meurent dans les camps allemands au printemps 1945. 

 

<st1:metricconverter w:st="on" ProductID="42 A">42 A</st1:metricconverter> l’exception de Mollion, fusillé en août 1943 à Dijon (inscrit sur le mur des fusillés de la rue J. Moulin), les autres fusillés nommés dans ce tract (Brugot, Picard, Ferry, Louis, Tabarant, Aillot et Minard ) ont été fusillés à Egriselles, près d’Auxerre,  tandis que Roulot, Jacquin, Boigegrain l’ont été dans l’Aube et Froissart l’a été au Mont Valérien.

 

43 Suivent douze noms de femmes dont Danielle Casanova, Madeleine Marival, Yvonne Emorine…

 

44 Le 15 avril 1944, jour de marché, est diffusé dans l’Auxerrois un autre tract appelant à manifester devant la préfecture contre la distribution d’un lait trop écrémé.

 

45 C’est souvent le cas des réseaux de renseignement. Ainsi du réseau F2, lui aussi connu pour sa forte composante féminine, et qui est indirectement représenté dans l’Yonne par la cellule Suzon animée par une poignée d’agents. Voir sur F2 : Jean Medrala, Les réseaux de renseignements franco-polonais 1940-1944, L’Harmattan, 2005.

 

46 D’après un document transmis par Joël Drogland où Mme Vauthier s’exprimait dans le cadre du Concours de la Résistance et de la Déportation, décembre 1996.

 

47 Son mari porte un colis à son épouse  le 8 février 1944 mais est reconnu par Bonny, responsable français de la Gestapo. Arrêté et fouillé, l’adresse de son fils Henri est trouvée sur lui. Le père et le fils, résistant également, sont déportés le 14 juillet pour le camp de Neuengamme. Madeleine Plait est relâchée mais Henri ne reviendra pas de déportation.

 

48 Exécution d’Abel Minard le 25 avril 1942 au champ de tir d'Egriselles près d’Auxerre et de René Froissart au Mont Valérien le 21 septembre 1942.

 

49 Arrêté le 6 septembre 1943, il meurt en déportation en novembre 1944 au camp de Gross-Rosen.

 

50 Il n’a pas été pas été pardonné à Yvonne Dumont d’avoir tué un sous-officier allemand au cours de l’assaut.

 

<st1:metricconverter w:st="on" ProductID="51 A">51 A</st1:metricconverter> Augy, Marcel Ferry (après Henri Nutchey arrêté à sa place par erreur) et à Tonnerre, Abel Minard.  

 

52 Léone date son départ du 23 septembre 1943 : s’agit-il d’une erreur de mémoire ? Il s’agirait alors du 23 octobre car le décès de Louis Busset, date du 5 octobre et les premières arrestations provoquées par la trahison de Marius Guillemand se situent entre le 13 et le 16 octobre. Rien n’empêche de penser que les Delcroix aient été mis en garde contre Guillemand, ancien responsable BOA du Pas-de-Calais dont Jean Delcroix était originaire, mais rien ne permet  de penser que la Gestapo ne les traquait pas.

En tous cas, le départ précipité des Delcroix et leur reconversion rapide dans le Vercors au sein de Gallia, l’un des réseaux de renseignements les plus importants du BCRA en zone sud, ressemble à la mise à l’abri d’agents menacés d’arrestation.

 

53 Arch. dép. Yonne 1130 W 39.

 

54 Voir l’article de C. Delasselle et J. Drogland sur Robert Bailly dans le bulletin Yonne Mémoire n° 26, décembre 2011.

 

55 Voir la thèse de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy, L’Harmattan, <st1:metricconverter w:st="on" ProductID="2007. A">2007. A</st1:metricconverter> partir de l’étude de deux prisons centrales, l’une pour hommes et l’autre pour femmes à Rennes, l’auteur démontre la surenchère répressive de Vichy au fil de l’Occupation et l’inflation des délits politiques et des peines carcérales prononcés dans le cadre de la politique de Collaboration.

 

56 Le chiffre de 43 cité dans Un département dans la guerre (p 444) est supérieur mais ne précise pas l’origine de toutes les femmes et ne comptabilise pas que des résistantes (rafles, prisonnières..).

 

57 Environ 500 hommes.

 

58 L’Auxerroise Renée Lévy n’est pas comptabilisée car son activité ne s’est pas déroulée dans l’Yonne. Son cas mérite d’être signalé en tant que fille d’un professeur du lycée de jeunes filles d’Auxerre. Résistante du réseau Hector et du musée de l’Homme à Paris, elle y est arrêtée et sera exécutée à la hache à Cologne en 1943.

 

59 Proche du réseau JMB et arrêtée en décembre 1943 à La Ferté-Loupière. Sa fille Paulette Courty l’est aussi le mois suivant mais reviendra de Bergen-Belsen.

 

60 Site internet : Mémoire vive des convois des 45 000 et 31 000 d’Auschwitz-Birkenau.

 

61 Sous les dehors de l’éternel féminin, le régime de Vichy, initiateur de la Fête des mères, a aggravé la condition féminine. Les femmes, déjà discriminées par leur incapacité civique et juridique (sans droits au vote et à l’autorité parentale) ont été victimes d’un durcissement législatif sur les questions du divorce, de l’avortement et de l’embauche.

 

62 Et par le GPRF appliquant le programme du CNR, sans oublier le volontarisme des radicaux.

 

63 L’Yonne républicaine du 18 août 1946.

 

64 L’Yonne républicaine des 18 août 1946, 10 mars 1948 et 6 septembre 1951.

 

65 La polémique recouvrait également un profond clivage communal, opposant les conservateurs aux communistes.

 

66 Document cité.

 

67 Ibidem.

 

68 Mais actuelle comme par exemple le livre récent sur les filles du SOE en France : Sarah Helm, Vera Atkins, une femme de l'ombre. La Résistance anglaise en France, Seuil, 2010.

 

69 Citation d’après l’Yonne républicaine du 18 août 1946.

 

Le réseau Ronsard-Troëne

Le réseau Ronsard-Troëne

 

La mission Ronsard fut parachutée par le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA), en septembre 1941, en vue d'organiser la transmission des renseignements à destination de Londres. Elle donna naissance au réseau Ronsard qui devint, fin 1943-début 1944, le réseau Ronsard-Troëne. Il s'agit d'un réseau gaulliste, très strictement spécialisé dans la transmission des renseignements. Il ne semble pas qu'il ait existé une organisation icaunaise de ce réseau dont les agents ont cependant émis dans le nord du département.

Les agents du réseau Ronsard-Troëne sont des spécialistes de la transmission radio. Ils reçoivent de la centrale parisienne, par l'intermédiaire d'un agent de liaison, des messages codés dont ils ne comprennent pas le sens. Leur tâche est de transmettre les messages à l'aide de postes émetteurs-récepteurs. Ils se déplacent continuellement et n'appartiennent à aucune organisation de la résistance locale. Celle-ci leur fournit cependant des domiciles à partir desquels ils émettent et qu'ils appellent des « antennes ». Cette activité est essentielle à la résistance intérieure, mais elle est très dangereuse, car l'ennemi dispose de véhicules spécialisés dans la détection des postes émetteurs.

Deux agents de ce réseau ont opéré, entre l'été 1943 et l'été 1944, dans un rayon d'une cinquantaine de kilomètres autour de Bray-sur-Seine. Il s'agit d'André Poncy et de son ami René Laforest. Ils furent engagés comme « radios » en juin 1943, sous les pseudonymes de « Divonne » (A. Poncy) et de « Bucheron » (R. Laforest).

Pendant un an ils se consacrèrent à la transmission de messages radio à destination de Londres.

            « Notre activité avait pour centre l'Hôtel du Bon Laboureur à Bray-sur-Seine. C'est là que César, notre agent de liaison, nous remettait les messages à transmettre. Ils lui avaient été donnés à Paris par le secrétaire du réseau. Selon le nombre de messages à transmettre, nous estimions le temps qui nous serait nécessaire, puis nous prenions un prochain rendez-vous. Nous lui remettions les QSL (accusés de réception) qui prouvaient que Londres avait reçu les messages précédents. Puis nous nous séparions.

Nous opérions dans un rayon de quarante à soixante kilomètres autour de Bray, jusqu'à Sens, Nogent et Troyes. Nous nous déplacions avec deux postes, chacun dans une petite valise (...) Tous les messages étaient codés en « groupes » de cinq signes morses. Seuls, les deux premiers ou les deux derniers groupes de chaque message nous permettaient d'identifier leur authenticité comme émanant bien de la résistance. Mais nous ignorions tout du codage des autres groupes.

(...) Chaque émission commençait toujours par trois séries de trois V. Cet appel était aussitôt suivi de l'indicatif anglais et du nôtre, puis de la demande de qualité de réception : « QRV » (« Comment recevez-vous ? ». Si l'émission passait bien, nous recevions : « R 5/5 » et « TEM » (« Transmettez »). Dans ce cas-là, nous passions tout de suite au premier de nos messages. Si tout était bien reçu, c'est-à-dire sans demande de groupe à « répéter », nous demandions l'accusé de réception (QSL). Et nous passions au message suivant.

En fin d'émission nous fixions le rendez-vous prochain que nous avions l'intention d'effectuer. Cela s'appelait un QTO. Il comportait la date, l'heure, la longueur d'onde utilisée ainsi que l'indicatif. Tout cela était codé par nos soins. Après l'accusé de réception de ce QTO, l'émission prenait fin.

Nous ne devions « pianoter » que pendant quarante minutes maximum, à partir de notre premier appel des trois V. Après cela, nous devions changer d'antenne, donc déplacer notre poste de trente à quarante kilomètres, changer de longueur d'onde et d'indicatif pour la nouvelle émission. Toutes ces précautions étaient nécessaires pour éviter notre repérage par la radiogoniométrie allemande qui avait une écoute permanente. Trois voitures opérant en triangulation nous repéraient à trois kilomètres. Puis trois personnes, toujours en triangulation, avec le cristal dans l'oreille et un curvimètre au poignet, pouvaient arriver à identifier l'emplacement exact du poste émetteur, grâce à l'aiguille du curvimètre » témoigne d'André Poncy.

En un peu moins d'un an, A. Poncy et R. Laforest transmirent à Londres des centaines de messages. André Poncy se souvient d'avoir émis deux fois à Sens. La première fois c'était dans une « menuiserie située dans une petite rue parallèle à la rue de Paris », ce qui pourrait être l'atelier de Jean Mader. « Mais ça passait mal. Il y avait trop d'interférences et cette antenne fut abandonnée. » Une autre émission se fit « dans une rue qui menait à Saint-Clément », mais A. Poncy ne peut en dire plus.

Le 12 juillet 1944, quand André Poncy et René Laforest arrivent à l'Hôtel du Bon Laboureur, ils y trouvent bien « César », mais il est accompagné de la Gestapo. Arrêté la veille, il a été torturé et il a parlé. Vingt et un membres, sur les vingt-huit que comprend cette branche du réseau sont arrêtés.

A. Poncy et R. Laforest sont conduits au centre de la Gestapo de la rue des Saussaies, à Paris. Les vingt et un résistants y sont regroupés. Les interrogatoires sont terribles. Le secrétaire du réseau, Méric (« Charles ») est soumis deux fois au supplice de la baignoire et a les ongles écrasés par une presse à papier. Il a cependant le courage de cracher au visage de l'officier de la Gestapo.

Tous sont ensuite incarcérés à Fresnes et déportés à Buchenwald, où ils arrivent le 20 août 1944. Quatre seulement d'entre eux en sortirent vivants.

 

Sources : Témoignage d’André Poncy (1996). Drogland Joël, Histoire de la Résistance sénonaise, Auxerre, ARORY, 2ème édit. 1998.

 

Joël Drogland

Le réseau Jean-Marie Buckmaster

Les origines du réseau Jean-Marie Buckmaster

 

Le principal réseau implanté dans le département de l’Yonne est le réseau Jean-Marie Buckmaster. Du nom du colonel Maurice J. Buckmaster, le réseau Jean-Marie Buckmaster constitue un des nombreux réseaux développés en France et en Europe. Ils dépendent du SOE (Spécial Opération Executive, service du ministère de la Guerre économique) mis en place le 19 juillet 1940 par Churchill. A cette date, le Royaume-Uni reste le seul pays à résister à l’invasion allemande. Le Premier ministre anglais donne pour mission au SOE de « mettre le feu à l’Europe » en tissant des liens avec les groupes de résistants qui commencent à agir dans les pays occupés. Plusieurs réseaux naissent. Ces organisations très hiérarchisées et très structurées ont pour principaux objectifs : le  renseignement, les sabotages, l’évasion de pilotes tombés chez l’ennemi et la réception ainsi que le stockage des armes parachutées.

Henri Frager est à l’origine de la création du réseau Jean-Marie Buckmaster. Dès l’été 1941, il est en contact avec André Girard qui a formé un réseau SOE nommé Carte dans le sud de la France. A partir de décembre 1942, en conflit avec Carte, Frager décide de fonder son propre réseau. Il l’appelle Jean-Marie ou Donkeyman. Le réseau est en contact radio permanent avec le SOE dirigé depuis septembre 1941 par le colonel Buckmaster. Une liaison par la Suisse (Genève) permet d’acheminer le courrier. Frager cherche à étendre le rayon d’action de sa nouvelle organisation. Pour cela, il bénéficie d’une aide de l’officier anglais, Peter Churchill (aucun lien de parenté avec le Premier ministre). Churchill est secondé par sa secrétaire, Odette Sanson. André Marsac et Roger Bardet sont les principaux adjoints. Plusieurs antennes sont créées dans presque toute la France : de Marseille, le réseau remonte la vallée du Rhône (et même davantage) jusqu’à Annecy où un PC est installé en mars 1943 à Saint-Jorioz. Le réseau s’étend à travers tout l’hexagone grâce à des antennes créées en Normandie, dans l’Oise, dans le Jura, à Paris où la sœur de Frager habite et bien sûr, dans l'Yonne. Mais à partir de mars 1943, les arrestations successives d’André Marsac et Roger Bardet, provoquent l'infiltration du réseau par Hugo Bleicher, un des agents les plus efficaces de l'Abwehr (service d'espionnage allemand). Bardet ayant accepté d'être un agent double sous le pseudonyme de « Dick », matricule n° 8010.

 

 Thierry Roblin

 

 

Le réseau Jean-Marie Buckmaster dans l’Yonne

 

Dans l’Yonne, le réseau est implanté dans un premier temps, dans le nord du département à Michery. Deux amis d’enfance, Bernard Furet et Marc Bizot sont à l’origine de la création de cette antenne. Le réseau a pris davantage d’ampleur dans le Jovinien et l’Aillantais. Alain De la Roussilhe (« Michel ») rencontre en février 1943 à Joigny, Pierre Argoud, vétérinaire à Aillant-sur-Tholon. Alain se présente comme un représentant direct de l’Intelligence Service dans la région chargé de monter une antenne d’un réseau SOE. Il affirme posséder une liaison radio avec Londres. Tout d’abord méfiant, Argoud se joint au jeune résistant. Il devient rapidement un membre actif du réseau Jean-Marie Buckmaster.

Les agents du réseau disposent de moyens matériels importants : armes, émetteurs de radio, argent grâce aux nombreux parachutages réceptionnés. Au total ce sont près de quatre-vingts parachutages qui ont été recensés après la Libération dont plus d’une vingtaine dans l’Yonne. Fin mai <st1:metricconverter w:st="on" ProductID="1943 a">1943 a</st1:metricconverter> lieu dans les environs de Michery, le second parachutage de l’Yonne. Le 23 juillet 1943, De la Roussilhe et Argoud réceptionnent le premier parachutage du Jovinien à Chassy.

Cependant le réseau ne possède pas le potentiel humain indispensable à ses missions. Les agents cherchent donc à prendre contact avec les organisations de Résistance déjà sur place et, en promettant des armes et de l’argent, ils tentent d’en prendre le contrôle. C’est ainsi que le groupe d’Irène Chiot renforcé par des FTP-MOI comme Michel Herr et Jorge Semprun sont en liaison avec Jean-Marie. A Joigny, le groupe Bayard déjà affilié à Libération-Nord choisit d’être rattaché à Jean-Marie tout en gardant une grande autonomie. A l’approche du débarquement, Frager installe le PC national du réseau près d’Aillant-sur-Tholon fin mai 1944. Le réseau subit une profonde réorganisation. Alain De la Roussilhe est exécuté après décision d’un conseil de guerre le 3 juin.

Après le débarquement de Normandie, le réseau Jean-Marie crée des maquis. Le principal d’entre eux est le maquis de l’Etang-Neuf. Un important terrain d'atterrissage et de parachutage est aménagé sur un plateau entre les bois de Cudot et de Villefranche-Saint-Phal, au lieu dit « les Miniers ». Le corps franc des frères Caselli, (Serge et Amédée) intégré au groupe Bayard assure la sécurité et la responsabilité des huit parachutages réceptionnés entre début août et octobre 1944 sur ce terrain. Tous les maquis du réseau Jean-Marie viennent s’approvisionner en armes sur ce terrain (maquis Kléber, Machefer, Cudot et maquis de Courlon).

Après l’arrestation de Frager le 2 juillet 1944, Roger Bardet secondé par Jacques Adam prend la direction du réseau de juillet 1944 jusqu’à son arrestation en octobre 1944. Il délègue ses pouvoirs à Jean Guyet et Guy Héricault qui donnent leurs instructions en signant, « Jeanguy ». Vers le 15 août la mission Jedburgh  prend contact le commandant Bardet au nouveau PC implanté à Sommecaise. Du 17 au 25 août 1944, de nombreux engagements auxquels prennent part les membres du réseau ont lieu dans le secteur Aillant-Joigny-Charny. Ce triangle est traversé par un important axe de communication, la route nationale 443 reliant Montargis à Joigny.

Au cours du printemps 1944, les cadres du réseau Buckmaster estimant ne dépendre que de l’état-major allié refusent de s’intégrer dans les FFI. Le 26 octobre 1944, ils forment le 3ème bataillon du 1er Régiment des Volontaires de l'Yonne. Le 7 novembre 1944, sous la conduite du commandant Jacques Adam, le 1er RVY quitte Joigny en direction des Vosges et de l'Alsace. Affecté à la 2ème Division d'infanterie marocaine de la 1ère  Armée française, le 1er RVY participe aux combats de Belfort fin novembre. Au début de 1945, le 1er RVY est  intégré dans le 35ème Régiment d'infanterie avec qui il franchit le Rhin le 18  avril 1945.

 

Sources : Andréotti Nicolas, Bayard, un groupe de résistance dans son environnement social, mémoire de maîtrise, Université de Bourgogne, 1996. Boursier Jean-Yves, La Résistance dans le Jovinien et le groupe Bayard, éd Groupe Bayard, 1993. Colson Roger, Le réseau Jean-Marie au combat, éditions france-empire, 1982.

 

Thierry Roblin

 

Concours 2009

Une du bulletin de la Fondation pour la mémoire et la résistance. Sept. 2008

Le thème du concours 2009 « Les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi » soulève de nombreuses questions, à la fois sur un plan général et dans sa mise en œuvre dans le cadre du département.

Le thème désigne comme cadre le « système concentrationnaire nazi », sans tenir compte de la distinction désormais faite entre camps de concentration et camps d’extermination. Dans une brochure consacrée au concours de cette année, la Fondation pour la Mémoire de la Déportation considère que le thème inclut les camps d’extermination, et consacre donc une grande partie de ses développements et de ses exemples à la persécution raciale contre les Juifs et les Tziganes. Dans le cas de la France, environ 11 000 enfants juifs de moins de 16 ans furent déportés ; seuls quelques uns survécurent. Pour la plupart, ils furent exterminés dès leur arrivée. Pour ceux qui étaient considérés comme aptes au travail, ils se retrouvaient soumis au régime du système « concentrationnaire ».

 Il faut évoquer le sort particulier des enfants juifs, arrêtés en 1942, transférés dans les camps du Loiret, Pithiviers et Beaune-la-Rolande, et qui pour certains ont été séparés de leurs parents (voir le livre de Eric Conan, Sans oublier les enfants. Les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, 16 juillet-16 septembre 1942, Paris, Bernard Grasset, 1991).

Sur cet aspect, les élèves de l’Yonne qui participeront au concours seront dans une situation difficile ; un seul cas, à notre connaissance, entre dans ce cadre, celui de Simon Igel. Ses parents ont été arrêtés lors de la rafle de juillet 1942, mais lui est arrêté plus tard, il est déporté dans le convoi n° 60 vers Auschwitz. Il est revenu, et vit toujours. L’emploi du terme « adolescents » pose également question, qu’il s’agisse de juifs ou de non-juifs. La même brochure définit les adolescents comme étant âgés de 14 à 17 ans révolus, tout en reconnaissant le caractère approximatif de cette définition. Il nous semble que cette définition est très décalée par rapport à la réalité de l’époque. Nous sommes entre 1940 et 1944. L’enseignement obligatoire dure jusqu’à 14 ans ; à partir de ce moment, les jeunes entrent dans la « vie active », dans la plupart des corps de métier, agriculture, bâtiment, industrie, de nombreux services. La proportion de ceux qui poursuivent des études est très faible. Á partir de cet âge, 14 ans, les jeunes s’inscrivent dans le monde des adultes ; le passage du monde de l’enfance à celui des adultes est assez rapide, et il n’existe pas cette phase que nous connaissons aujourd’hui.

Au demeurant, la brochure de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation le montre bien. Á la page 20, le document 13 dit : « Les adolescents français, comme d’autres nationalités, ne bénéficient d’aucune aide particulière : ils effectuent un travail tout aussi pénible, ne voient pas leur ration augmenter, et vivent dans les mêmes blocks que les adultes. » (Extrait de Cadot Adrien, Parcours et destins des jeunes déportés français rescapés de 13 à 18 ans ; étude d’un panel de 1 000 individus, mémoire de maîtrise, direction de J.Quellien, Université de Caen).

Dans l’Yonne, l’exemple de Jean Léger est significatif. Il est arrêté au lycée Jacques Amyot en novembre 1943 ; il a 17 ans. Il a connu le « système concentrationnaire nazi » comme tous les autres résistants déportés adultes. Il semble très difficile de placer Jean Léger dans une catégorie « adolescents », dont la situation aurait été particulière. Son récit, Petite chronique de l’Horreur Ordinaire est le récit de ce qu’a vécu un déporté au camp du Struthof, puis dans le Kommando d’Allach.

Au total, quand il est dit dans les commentaires accompagnant le sujet : « Les recherches des élèves pourront porter sur la situation de leur commune ou de leur département, en s’appuyant sur les archives municipales et départementales, etc. », cela nous semble bien difficile. Les cas sont bien peu nombreux, en dehors de Simon Igel et Jean Léger.

Il nous paraît regrettable que le thème choisi, même s’il permet des réflexions générales, ne donne guère la possibilité aux élèves de se confronter avec la réalité locale. Le texte dit bien « pourront » ; s’ils ne peuvent pas ? Enfin, il est indiqué dans les commentaires du thème : « On pourra prendre en compte l’évolution, dans l’après-guerre, du droit international et national dans le domaine de la protection de l’enfance. » Il s’agit d’un tout autre champ de réflexion, mais qui là aussi ne permettra pas facilement aux élèves de partir d’une réalité locale. Cet aspect nous semble essentiel. Les professeurs qui, motivés, encouragent leurs élèves à participer au concours auront cette année une tâche difficile.

Jean Rolley, article paru dans le bulletin anniversaire de l'Yonne-Mémoire, novembre 2008.

© Arory  •  Site réalisé par Thierry Roussel - Creacteurs Studio