8 octobre 1942 : seconde rafle de Juifs dans le département de l'Yonne

L’antisémitisme des milieux dirigeants du régime de Vichy se traduit très tôt par des mesures d’exclusion qui ne sont nullement imposées par l’occupant. Dès septembre 1940, le recensement des Juifs du département est effectué. Un statut des Juifs est promulgué à Vichy le 3 octobre 1940 et un second statut, plus discriminatoire encore, le remplace le 2 juin 1941. Désormais « l’accès et l’exercice des fonctions publiques, notamment comme membre des corps enseignants sont interdits aux juifs ». Progressivement leur liberté est limitée : ils ne peuvent plus déménager sans prévenir le commissariat de police, posséder un poste de radio, posséder une bicyclette, utiliser leur téléphone. 

Une note envoyée le 28 avril 1941 par le délégué du ministère de l’intérieur au préfet, rappelle la loi du 4 octobre 1940 sur les Israélites étrangers et lui demande d’en « sanctionner le principe en procédant dès maintenant à l’internement de quelques Israëlites étrangers à choisir parmi ceux qui sont connus pour leur attitude contraire aux intérêts du pays ou qui se sont introduits illégalement en France (…), ou encore dont l’absence de ressources les place en surnombre de l’économie nationale ». C’est donc comme une mesure qui en parachève beaucoup d’autres que paraît l’ordonnance du 29 mai 1942 sur le port de l’étoile jaune. Elle précède de peu dans l’Yonne la première rafle de Juifs. 

Au printemps et à l‘été 1942, le chef du gouvernement, Pierre Laval, et son secrétaire général à la Police, René Bousquet, négocient avec Heydrich, le représentant de Himmler, et Karl Oberg, le chef des SS et de la police pour la France, la participation de la France de Vichy à la déportation des Juifs de France, s’inscrivant ainsi dans le cadre européen de la « Solution finale » décidée à la conférence de Wannsee par les autorités nazies, le 20 janvier 1942. 

 

Télégramme du Préfet régional au Préfet de l'Yonne

Dans l’Yonne la première rafle vise les Juifs étrangers. Elle a lieu les 12 et 13 juillet 1942. 43 Juifs étrangers sont arrêtés le 12 juillet 1942, pour la plupart Polonais. La liste des personnes à arrêter comptait 44 noms, l'un d'eux était absent à son domicile. 42 sont transférés au camp de Pithiviers par les « Rapides de Bourgogne » ; une femme reste hospitalisée à Auxerre pour tuberculose. Une seconde rafle touche 37 Juifs étrangers qui sont arrêtés le 8 octobre 1942. Ils sont acheminés sur Drancy par le train avec une escorte de douze gendarmes, le 11 octobre. La rafle du 24 février 1944 est la plus importante. Elle touche cette fois les Juifs français. 55 juifs sont arrêtés et transférés à Drancy deux jours plus tard. Neuf n'ont pu être arrêtés car ils avaient quitté leur domicile avant l'arrivée de la police ou de la gendarmerie. Cinq n'ont pu l'être pour cause de maladie. En réalité, dans quelques cas les forces de police ou de gendarmerie ont fermé les yeux et évité des arrestations.

Le Préfet au commandant de Gendarmerie

42 Juifs étrangers ont été arrêtés le 12 juillet 1942 dans le département. Le même processus, aussi bien organisé et aussi bien exécuté se déroule en octobre. Le préfet de l’Yonne reçoit l’ordre d’arrestation de la préfecture régionale. Il transmet lui-même ses ordres aux sous-préfets ainsi qu’aux services de police et de gendarmerie. Le matin, les policiers et les gendarmes se présentent au domicile des personnes à arrêter. La précision des rapports d’exécution permet de saisir la réalité dans sa dimension de tragédie humaine. 

Rapport du commissaire de Police

A Sens, 14 personnes sont arrêtées. Parmi eux, la famille Oviczka, qui habite 21 rue de la Grande Juiverie. Pcek, le père est cordonnier, né en 1897 en Pologne. Son épouse, Jitla est née en 1896 en Pologne. Ils ont une fille de 15 ans et habitent « une seule pièce au rez-de-chaussée » précise le juge qui a mis les scellés. Ou bien encore la famille Azernitzki. Haim et sa femme Hama sont nés en Russie ; lui en 1892 et elle en 1885. Leur fils Hifri est né à Sens en 1931. Ils habitent 23, rue Jossey où il exerce la profession d'ouvrier-tailleur. Le juge met les scellés sur un appartement qui comporte : « une salle à manger, une chambre à coucher et une pièce servant d'atelier ». 

Un cas particulier préoccupe l’inspecteur de police soucieux de bien faire son travail au service des nazis et de l'Etat français. Il a arrêté à Cerisiers : « Lazarus Silvain né le 28-11-1898 à Boston (Etats-Unis). Chirurgien dentiste de la faculté de Nancy, titulaire du brevet militaire N° 1255 du bureau de recrutement de Sarreguemines le 10 mai 1921. Ce livret porte un cachet de caoutchouc encre violette « nationalité française en vertu du paragraphe 2 de l'annexe à la section V du traité de paix. Mobilisé un mois en 1938 puis le 2 septembre 1939 à la 231ème Compagnie d'électro-mécaniciens de la région fortifiée ». L'inspecteur est dans l'expectative : s'agit-il d'un « juif » ou d'un « Français » ? M. Lazarus dispose d'une carte d'identité N° 61 A signée par le Maire d'Arces et délivrée le 13 août 1940. Elle porte la mention « Juif ». Aussi décide-t-il de le garder. Par la suite il fut considéré comme « Français » et relâché. Mais l'Administration s'acharne. Silvain Lazarus figure sur la liste des Juifs à arrêter le 24 février 1944 ; cette fois on arrête aussi les « Juifs français ». La gendarmerie constate en venant l'arrêter qu'il est « parti sans laisser d'adresse ». Sa femme ne peut être arrêtée car elle est « impotente » et dispose d'un « certificat médical ».

 

Rapport de Gendarmerie

Au-delà de l’anecdote, ces faits montrent combien fut efficace à l’exécution de la Shoah, le professionnalisme des services administratifs et policiers de l’Etat français.

Voici le compte-rendu que fait le gendarme responsable du transfert à Drancy des juifs arrêtés dans l’Yonne en octobre 1942 : « Le 10 courant j'ai été commandé de service pour escorter un convoi de 37 juifs acheminés sur Drancy le 11 octobre 1942. J'ai pris possession de ces internés à la prison d'Auxerre où je n'ai eu aucune difficulté ; l'escorte de 12 gendarmes était suffisante. A l'arrivée à Paris, 20 agents de police sous les ordres d'un officier de Paix, ont été mis à notre disposition pour le transfèrement des internés dans les deux autos cars de la TCRP destinés au transfèrement. La remise au camp de Drancy s'est opérée sans difficulté et, à 13h 30, le personnel était libre. Les cartes alimentaires et les pièces d'admission ont été remises au camp. A noter que huit internés n'avaient pas de carte d'alimentation : après avoir signalé le cas, il m'a été répondu par le Directeur du Camp que cela n'avait pas d'importance. Aucun incident n'est à signaler. Pas d'évasion. » 

Les 37 personnes qui arrivèrent ainsi sans « incident » à Drancy firent partie de l’un des quatre convois partis en novembre pour Auschwitz. Il s’agit très vraisemblablement du convoi n°42, qui quitta Le Bourget Drancy le 6 novembre avec 1000 personnes. Il arriva à Auschwitz le 8 novembre. Il n’y eut que quatre survivants...

Sources : Arch. Dép. de l’Yonne, 1 W 161. Jean Rolley, La déportation des Juifs de l’Yonne, Yonne mémoire, N° 25, mai 2011. Klarsfeld Serge, Le calendrier de la déportation des Juifs de France 1940-1944, Vesoul, édition FFDJF, 1993, 1264p. 

Joël Drogland

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