Ce barrage s’intègre dans un important dispositif policier décidé par un adjoint du commissaire spécial Grégoire. En l’absence de son chef, il a pris l’initiative d’organiser une grande opération dans une région où, observe-t-il, « l’on notait depuis quelques jours une certaine activité terroriste ». Des barrages routiers ont donc été placés à trois carrefours stratégiques permettant de contrôler efficacement le secteur : à Aillant-sur-Tholon entre les N 455 (aujourd’hui D 955 ), 89 et 14, à la Ferté-Loupière entre les D 3 et 67 et aux Placeaux entre les D 99, 219 et 955, cette dernière reliant Aillant-sur-Tholon à Toucy.
Les moyens en hommes et en matériel semblent relativement importants. Un brigadier, secondé d’un sous-brigadier, commande dix gendarmes armés de mitraillettes, de mousquetons et de fusils de chasse. Un camion gazogène d’une tonne et demi barre la route. Une herse est étalée devant chaque barrage, sauf aux Placeaux où les GMR disposent en contrepartie d’un fusil-mitrailleur.
Le contrôle des deux premiers barrages ne donne rien. Par contre, aux Placeaux où se trouve le chef, « un événement d’importance se produisit à 22h 45 ». Un véhicule venant de Toucy tous feux éteints est repéré par un des guetteurs placé environ à 80 mètres avant le barrage. L’alerte est rapidement donnée. A 30 mètres du carrefour, le signal d’arrêt par feu rouge ainsi que les sommations sont exécutées. Alain de la Roussilhe, qui conduit l’automobile, ralentit puis brusquement accélère. Il décide de contourner le barrage en s’enfuyant par la D 219, en direction de Saint-Aubin-Château-Neuf. Les GMR réagissent en mitraillant à bout portant la voiture. Puis une patrouille se lance à sa poursuite. Mais profitant d’une forte pente, la Juvaquatre parvient à s’échapper.
Le véhicule est retrouvé le lendemain à Chamvres, au sud de Joigny. Sa carrosserie est criblée de balles et les sièges arrières sont maculés de sang. Le commandant des GMR affirme que «c’est une chance extraordinaire que la voiture ait pu continuer sa route ». Ce qu’il ne sait pas, c’est que deux résistants ont été sérieusement blessés, Daniel Louis et Michel Roussey. Ce dernier, touché à une jambe, est soigné par le docteur Lux. Il y gagne un surnom évocateur, celui de « Mal’opat ». Par contre Daniel Louis a moins de chance : frappé d’une balle dans le dos, il décède quelques minutes plus tard.
Le commando revenait de Toucy où il avait attaqué le bureau de poste et dérobé 510 000 francs. L’opération était-elle bien nécessaire alors que les moyens financiers du réseau Jean-Marie étaient considérables ? Il semble que cet épisode soit à mettre en rapport avec les nombreux dysfonctionnements qui provoquent indirectement l’exécution d’Alain de la Roussilhe en juin 1944.
Quelques jours après cet épisode, Jean Guyet se souvient s’être rendu à Auxerre accompagné d’Alain pour rencontrer le responsable des GMR, afin de se « mettre d’accord pour pouvoir passer à travers le barrage de police lorsque ceux-ci nous arrêteraient ». Pourquoi ces derniers ont-ils pris le risque de se rendre à Auxerre ? Il est vrai qu’il existait des contacts entre les responsables du réseau Jean-Marie et le commissaire Grégoire qui les a rencontrés à de nombreuses reprises. Par la suite, les membres du réseau ne se sont plus jamais heurtés aux barrages de GMR dans la région.
Cet événement est l’occasion pour le commandant des GMR de réclamer des moyens supplémentaires. Dans un rapport adressé à l’intendant régional de police, au commandant Sauvageot et au SS Sturmscharführer Haas, il attire l’attention de ses supérieurs sur la nécessité d’avoir une dizaine de herses et non une seule et d’être doté de moyens rapides en vue d’une poursuite éventuelle. Pour finir, il se plaint de ne pas avoir touché de Dijon la dotation d’essence pour les opérations.
Sources : ADY, 6 W 22570 (dossier d’instruction du procès Grégoire). Témoignage de Jean Guyet (1999).
Thierry Roblin et Joël Drogland